Apostasie équitable et achat direct


Dany Marquis

C’est décidé.  Je ne suis plus « équitable ».  Le mot même me rend mal à l’aise, et ce depuis déjà un moment.  Dans le concret, j’ai résilié mon contrat avec Transfair Canada et ne travaillerai plus avec l’organisme de certification.  Donc, que je serai décertifié équitable.

Aujourd’hui, je crois sincèrement qu'on pourrait faire mieux, autrement.  Les notions d’équitabilité et de justice font partie de mes valeurs personnelles et par le fait même teintes Brûlerie du Quai.  L’utilisation du logo et du partenariat avec Transfair Canada est maintenant, à mes yeux une relation basée sur l’utilisation d’une marque de commerce parmi tant d'autres (Utz, max haavelar, rainforest alliance, bird friendly, shade grown) sans compter le coté biologique où on se perd parmi les nombreux organismes de certification.

Au Québec, l'influence d'Équiterre et de sa charmante porte-parole de l’époque m’ont inspiré durant le démarrage de l’entreprise.  Les idées véhiculées par Laure Waridell, m’ont touché, de même que la lecture du livre « acheter c’est voter ».  J’espère toujours continuer dans la même voie de la responsabilité et du désir d’améliorer le monde qui m’entoure.  Durant les 6 dernières années, j’ai concrétisé mes projets et tendu vers un idéal.  Avec l’expérience et ma connaissance du commerce du café actuel, je me rends compte de la naïveté du processus.  Qui est vraiment gagnant de cet exercice ?  Répondre à cette question c’est mettre à jour les « commerçants de la bonne conscience ».  (Je vous invite à ce sujet à lire le livre de Christian Jacquiau, « Les coulisses du commerce équitable » aux éditions Mille et une nuits)  Suffit également d’avoir voyager et visiter des pays producteurs de café pour se rendre compte que le fonctionnement de tout ça est autrement plus compliqué.  Ma déception n’a pas de cible précise si ce n’est la recherche d’un médium qui se rapprocherait encore plus de ma vision de l’équitabilité réelle.   Il y a de cela quelques mois, j’ai décidé, de cesser d’utiliser la marque de commerce de Transfair Canada.  Ma décision peut sembler simpliste mais elle est le fruit de nombreuses lectures, discussions et réflexions sur le sujet.  Ma démarche nous a permis de mettre sur pied une stratégie différente qui sera en harmonie avec nos valeurs.  Soyons moins naïfs et effectuons des interventions plus efficaces que d’envoyer annuellement des milliers de dollars à un organisme basé à Ottawa, qui emploie une quinzaine de personnes et qui ne me contacte que pour me rappeler que je leur dois de l’argent ou que mes rapports trimestriels contiennent des erreurs…  Je ne leur en veux pas, ils font leur boulot de gestionnaire de marque mais je considère seulement qu’ils ne répondent plus à mes exigences dans ma conception du commerce équitable.  J`ai également envie d’un type de commerce qui soit moins infantilisant et où les agriculteurs pourront garder leur dignité dans nos relations.  Ce ne sera pas dans une optique de charité ou de bonne conscience que nous allons travailler en partenariat mais bien parce que nous développerons une relation de type gagnant-gagnant.

Brûlerie du Quai emploie actuellement une trentaine de personnes, c’est par leur travail que je peux me permettre de projeter vers l’avenir une vision d’équité qui devrait se refléter dans des actions plus concrètes.

Je suis un gars d’action, j’ai besoin que ça se reflète dans mon entreprise.  Je ne me contenterai pas de payer simplement un premium sur la torréfaction d’un café certifié.  J’ai envie d’aller plus loin.  C’est pour cette raison que j’ai créé un logo (Projet Achat-direct) qui remplace actuellement le logo équitable de Transfair sur mes emballages.  Ce projet, actuellement en phase de communication, de cueillette de fonds et de regroupement de torréfieurs québécois, nous permettra d’acheter des lots de café directement au producteur, sans aucun intermédiaire.  J’ai mentionné brièvement ci-dessus la notion de dignité du producteur, cette notion est à mon avis très importante.  La notion d’équitable telle que vue par les organismes actuels est une forme d’aide sociale.  Hier, j’ai donné une conférence sur le café.  Dans, le groupe, une femme m’explique qu’elle vient de Madagascar, et que chez elle, on transforme le café à la main et que c’est un des meilleurs cafés du monde, dans le top ten.  Sur une note d’humilité, elle n’a pas dit quel rang dans le top ten mais c’est sur cette fierté, sur cette reconnaissance du travail que devrait se fonder le commerce.  Et non sur la notion de « vous êtes pauvres, nous sommes riches, on va vous donner de l’argent, peu importe si le fruit de votre travail est de qualité ».  Donner un revenu garanti basé sur une condition de faiblesse, de pauvreté, de minorité et vous n’obtiendrez que de la misère.  Bien sûr, il y a là matière à discussion mais je conserve toujours un fond de naïveté qui me dit d’aller dans cette direction.

Actuellement, nous avons un premier engagement envers une ferme du Costa-Rica, Llano Bonito.  On devrait acheter toute leur production de cette année.  J’ai également des démarches avec le Rwanda.

Ce type de travail est difficile en restant seul, c’est pourquoi l’initiative du projet Achat-direct est dissociée de Brûlerie du Quai afin de permettre la collaboration de d’autres entreprises de torréfaction.  Si vous êtes torréfieur, je vous invite à me contacter pour en discuter.

L’autre difficulté provient du financement.  Acheter des lots de café demande des liquidités considérables.  Nous avons la logistique pour les achats, le transport, l’entreposage en Gaspésie, la distribution, il ne nous manque que quelques investisseurs pour démarrer.  Avis aux intéressés !

En conclusion, cette démarche se veut essentiellement une réorientation de la notion d’équité-charité vers des relations d’affaire gagnant-gagnant ou chacun conservera sa dignité et sa fierté.  Et c’est également en me tournant dans cette direction que je sens le vent frais de la naïveté si chère à la création de grandes choses.  Il y aura des obstacles en cours de route mais on s’en fout.  On écoute son cœur et on part.  Au plaisir de vous faire déguster les premiers arrivages de micro-lots provenant de l’achat-direct !


1 commentaire


  • Patrick Albert

    Bonjour Dany,
    Qu’est-il advenu de ce projet? Ça semblait pourtant très intéressant, mais j’imagine que tu as rencontré des difficultés pour rassembler les gens et le réaliser. As-tu trouvé d’autres moyens de parvenir aux mêmes fins? J’ai vu ailleurs que le “Direct Trade” semble prendre une certaine ampleur; est-ce que tu y trouves ton compte?
    Au plaisir de te lire à nouveau.
    P. s.: je crois que j’ai presque tout lu dans ce blog; très intéressant, enrichissant et plaisant à lire. Bravo !


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