La transparence au niveau de nos opérations de transformation/préparation de café a toujours été importante pour moi.
Je me souviens encore, à mes débuts dans l’univers du café, de la difficulté que j’avais eu à visiter un atelier de torréfaction digne de ce nom au Québec. Pas un petit torréfacteur au milieu d’un bistro mais une vraie shop de café, centrée sur la torréfaction et non sur les sandwichs. Eh bien aucun torréfacteur ne m’avait permis de visiter leurs opérations. Je ne les nommerai pas. Et lorsque je leur posais des questions sur la composition de leurs mélanges, il me répondait en souriant : « Du café! »…
J’avais dû me tourner vers les Etats-Unis, en 2005 pour apprendre les rudiments de la torréfaction et comprendre comment agencer les origines, les torréfier, pour obtenir le profil de dégustation recherché.
Ce fut mon premier choc de voir à quel point le café au Québec faisait dur. Le marché était, et est encore, dominé par les vendeurs de pause-café, maintenant recyclé au café en conserve (Keurig) et la piquette de restaurant. Et oui, eux, ils prêtent des équipements… Je m’égare un peu mais l’univers du café demeure obscur pour plusieurs raisons.
Pourquoi le café au Québec faisait dur ?
Tout d’abord, les fameux revendeurs de café, qui sont présents partout, dans chaque recoin, et qui, fournissant des cafetières Bunn cheap et des bidules Keurig (parfois qu’ils prêtent, parfois qu’ils louent), vendent du mauvais café à qui veut bien croire que c’est de la qualité.
Et ils sont convaincants. Très convaincants.
Les fabricants de café majeur ont un réseau de revendeurs très efficace, très motivé. Notez que chacun a le droit de rouler sa bosse et que j’aime bien jouer du coude avec la compétition. Mais dans la majorité des cas, ces revendeurs de café, ne connaissent pas du tout le café!
Ils pourraient vendre de la nourriture pour chien, des lubrifiants synthétiques au garagiste, mais ils sont dans le café. Ils y gagnent leur vie. La machine est bien rodée, les clients sont crédules, et la compétition est nulle.
On garde le prix du café bas, on prête les équipements, c’est aussi simple que ça pour dominer dans le café.
Vous comprendrez que je travaille sur un autre terrain mais n’empêche que ce type d’entreprise bloque les micro-torréfacteurs et les empêche de développer du volume de production et de pouvoir vivre de leur travail sans devoir être obligé de finir par vendre des sandwichs, de la bière, et faire des spectacles le soir.
C’est pour cette raison qu’on doit absolument jouer sur un autre terrain, qui est celui de la transparence.
Mon café, je n'en fais pas un secret d'état
Cette semaine, j’ai eu deux bons exemples. Des restaurateurs, pris dans le truc «il me prête les cafetières, je dois acheter leur café ». Et Comme je ne prête pas les équipements, ça génère toujours de bonnes discussions.
Mon client restaurateur doit donc comparer mon offre avec celui du revendeur. Un de mes clients est un expert dans son domaine. C’est un goûteur, un gourmet, il est passionné par son produit. L’autre est chocolatier. Même profil.
Et, hasard, ils se font vendre le même café! Je ne nommerai pas le café mais il est vraiment dégueulasse. Je me permets même de dire, de la merde. Mon client avait à maintes reprises dit à son fournisseur que son café goûtait étrange. Et lui de répondre à chaque fois : « Impossible! C’est un café de XYZ! » Et le voilà qui lui sort son baratin, tu doses trop fort, ton eau est pas bonne, c’est l’eau de la ville, etc…
Lorsque vous prenez un mauvais café, trop torréfié, et que vous le dosez à 2oz (56g) pour 2,9L, on parle alors d’eau brune et non de café.
C’est en effet difficile de dire si le café est bon ou mauvais. Est-ce que c’est l’eau? En mettant deux ou trois crèmes et du sucre, c’est moins pire… Et ils peuvent être convaincant ces snoros.
J’ai des visages qui me viennent en tête. À Carleton, capital du plus grand nombre de restaurants par capita, nous ne comptons aucun client restaurateur… Et croyez moi, on est compétitif sur les prix et sur le service! Qu’est-ce qui ne fonctionne pas? C’est la relation avec les vendeurs de café, qui sont souvent également vendeur de sirop pour boisson gazeuse. Je te prête des cafetières, des pompes pour boissons gazeuses, des fridges pour les cannettes, et tu nous achètes du stock. Ça vient donc compliqué de travailler avec un torréfacteur local.
Bref, voilà qu’on se met à comparer nos cafés avec ceux de l’autre vendeur. Impossible de savoir la composition des mélanges, le % de robusta, la date de torréfaction, etc. Achète mon stock, ou sinon, je te retire mes équipements…
C’est lorsque les clients commencent à comparer qu’ils se rendent compte qu’ils n’ont aucune info sur les cafés.
Dany, c’est quoi ton Bad Boy espresso?
Le Bad Boy espresso, mon coco, est un mélange dédié à l'espresso, contenant 3 grains différents, torréfiés séparément (Harrar, Sumatra, San Rafael). Vous trouverez dans ce café optimisé pour l'espresso des arômes de cuir, de tabac, de fumé et de bleuets, presqu'aucune acidité, une texture lourde et sirupeuse, et une fin persistante.
Je pourrais donc discourir longtemps et expliquer le terroir de chaque grain, les niveaux de torréfaction de chaque ingrédients, etc. Et de toute façon le contenu de la tasse parlera par lui-même. Le revendeur de piquette ne peut rivaliser avec nous sur ce terrain. Merci Sun Tzu.
La transparence envers nos clients est importante car elle établit un climat de confiance.
Savez-vous que le café Robusta coûte le tiers des arabicas de grade spécialité? Voilà pourquoi certains torréfacteurs en mettent partout, en particulier sur les fameux mélanges dits « italiens ». J’en ai goûté un cette semaine, d’un torréfacteur de Montréal. Un mélange Italien. J’ai eu un high assez intense avec les joues qui se sont mis à me chauffer. Je dirais au pif, 50% de robusta, torréfié noir pour pas qu’on goûte les arômes de semelles de bottes… À chacun sa route.
Bien sûr qu'il faut porter attention à la fraîcheur du café proposé
L’autre détail important incarnant notre philosophie de transparence est la date de torréfaction. Connaissez-vous la date de torréfaction du café que vous consommez?
Il est important de comprendre d’où vient le café, comment il est transformé, pour éviter de mélanger les concepts de fraîcheur d’un café, à celui d’un pain, ou d’un rouleau de sushi. Tout de même, cette notion est majeure car un café torréfié il y a plus d’un an par exemple ne sera que le pâle reflet de ce qu’il était une semaine après la torréfaction. Vous trouverez donc, sous nos emballages, la date de torréfaction de tous nos cafés.
Nous sommes très excités par ce nouvel ajout et cela nous permet de mettre en application le vieux secret du succès de la saucisse highgrade (c’est frais parce que tout le monde en mange et tout le monde en mange parce que c’est frais. Ou quelque chose du genre).
Jusqu’à maintenant on bouleverse un peu le domaine car si les geeks du « third wave anglo-franco-sais-pu- trop » montréalais ont compris depuis longtemps, les gérants d’épicerie de la Gaspésie ne sont pas trop friands de l’idée de mettre une date de péremption sur un produit tablette supposément non périssable… Ben non, c’est pas une date de péremption monsieur, c’est une date de torréfaction… Nous sommes donc patients et faisons, avec le cœur plein d’amour, notre travail d’évangélisation.
Et voilà donc, notre politique de transparence :
- Date de torréfaction
- Information sur les cafés
- Éducation
Je ne le fais pas pour écœurer mes compétiteurs (même si…) mais bien pour vous démontrer à quel point nous sommes passionnés, que le café est un produit extraordinaire et que l’expérience de boire un bon café est à la portée de tous. Ce n’est pas un produit snob comme veut bien nous le laisser entendre la compagnie de cacanne en aluminium. Coudonc, je suis en feu aujourd'hui!
Commentaires (4)
Critique remarquable et sans aucune complaisance du marché du café !.. Parlez-moi du " vrai " café spécialisé et des vrais artisans torréfacteurs ( et non pas des marchands de soupes ) !
Excellent article ! J’abonde dans le même sens ! C’est intéressant de voir que d’autres, comme nous, privilégient la transparence !
Au plaisir de vous visiter lors d’une prochaine visite dans votre coin ! Au plaisir de vous recevoir si vous passez dans le coin de Québec.
Vincent (SudCafé)
Je vais commencer en vous disant que vous avez une excellente plume qui nous incite à lire votre blog. D’ailleurs ce blog est fort intéressant et contribue à ouvrir mes horizons sur cet art qu’est la torréfaction. J’ai toujours pensé qu’un jour, ce volet de spécialisation aurait pu m’intéresser et je vous aurais sans aucun doute contacté pour devenir un partenaire d’affaire.
Malheureusement, cette fois-ci je trouve que vos propos sont déplacés et condescendants envers le secteur de la restauration. Avez-vous vraiment l’odieux de juger les restaurateurs de la région parce vous êtes en désaccord avec la façon de faire de leurs fournisseurs de café? À la lumière de cet article, je réalise que vous nous considéré inapte à prendre des décisions éclairées en ce qui à trait à notre offre de produits.
Vous avouez être obligé de « vendre des sandwichs, de la bière, et faire des spectacles le soir » pour demeurer debout. En d’autres mots, le marché n’est évidemment pas au rendez-vous. Par contre, vous m’accusez sournoisement de nuire à votre commerce de par mon ignorance sur la qualité du café. Vous accusez notre fournisseur de nuire à votre capacité de « vivre de votre travail ». Vous ne semblez pas réaliser que du côté des restaurants, on tente de notre mieux d’assurer notre propre rentabilité afin de permettre à nos employés de vivre de leur travail.
Nous, les restaurateurs, devons faire des choix difficiles dans notre positionnement afin d’assurer notre stabilité financière. Puisque le café n’est pas lié à mon image corporative, j’y consacre évidemment moins de ressources humaines et financières. En l’occurrence, je recherche un fournisseur de café qui m’offre un produit avec un bon rendement qualité prix et un service à la clientèle hors-pairs. De plus est, je veux qu’ils me prêtent les équipements que vous accusez d’être « cheap ». Pour ma part, cela doit être une condition sine qua none à notre entente. Je ne veux pas la responsabilité d’une machine à café commerciale.
Pendant que vous trouvez que j’offre de la « piquette de restaurant » en termes de café, mes clients, eux, trouvent mon café excellent après qu’ils ont dégusté leur filet mignon certifié Angus. Là, je mets le paquet, mon steak je paie le prix….parce que ça fait partie de mon positionnement. Ce n’est pas plus compliqué que ça. On met l’effort sur les aliments qui nous représente comme restaurant. Si en plus, je suis en mesure d’avoir un bon café sans tracas qui rentre dans mon budget et que mes clients sont satisfaits, encore mieux!
Connaissez-vous la définition de crédule? Ça veut dire une personne qui croit tous ce qu’on lui raconte. Je suis sincèrement flattée de constater l’inquiétude que vous avez pour nous, les restaurateurs crédules, mais je vous assure que nous ne sommes pas aussi innocents que vous pouvez le croire. Peut-être est il temps de réviser votre modèle d’affaires, plutôt que celui de vos compétiteurs et de leurs clients?
Wow, soyez en feu souvent cher torréfacteur, ça faisait longtemps que je n’avais pas lu, un article aussi lucide sur l’univers du café au Québec. Bravo! Votre motivation à rendre l’univers du café accessible en passant par l’éducation est la meilleure façon de démocratiser ce domaine obscur et apeurant pour trop de consommateurs. La transparence est trop peu présente dans l’alimentation en général, alors que selon moi, elle devrait être la seule façon de faire un commerce honnête. Rendre hommage aux consommateurs qui sont de plus en plus conscients de ce qu’ils goûtent, en nivelant vers le haut, par l’éducation est une magnifique manière d’être intègre. Et ma foi, vous semblez l’être.C’est réconfortant de savoir qu’il y a des gens, loin des third-way-hipster-mile-end, qui se positionnent pour faire avancer la culture du café au Québec. Je dirais même rafraîchissant! Yé!