Date de torréfaction: Café frais, une notion galvaudée?


Dany Marquis

Il m’est arrivé à quelques reprises et m’arrive encore de tomber sur un client mécontent qui dit que mon café n’est pas bon, que ma mouture n’est pas bonne, qu’il dégage une odeur désagréable à l’ouverture du sac.  Après vérification avec le client, on peut voir le café sortir et déborder du filtre, et faire un beau dégât autour de sa cafetière, ce qui selon le client est un problème de mouture.  Pour ce qui est de l’odeur, difficile de vérifier puisque la mystérieuse odeur disparait lorsque je mets la main sur le sac, mais le client me jure qu’il y avait une odeur désagréable.  Après avoir suspecté l’eau, la cafetière, le dosage, la grandeur du filtre, etc., j’étais toujours très embarrassé face au client et lui offrait un nouveau sac (même lot, même torréfaction mais emballé une journée plus tard) et là tout était merveilleux, le café goûte ce qu’il doit.  Il m’a fallu 5 ans à comprendre (j’avais la réponse devant moi tous les matins) :  c’est le foutu CO2 !!!  Pourquoi, je n’y ai pas pensé avant !!!!

Tout dépend de notre organisation de production, torréfaction en début de semaine et livraison jeudi et vendredi.   Nos cafés sont emballés rapidement après la torréfaction, dans des sacs spéciaux avec valve qui permettent au café d’émettre du CO2 par la valve sans mettre en contact l’oxygène et le grain torréfié.  Sauf que parfois, le nombre de commande reçu est difficile à prévoir, surtout par internet, et nous torréfions parfois quelques heures avant la livraison aux clients.   Bref,  le summum de la fraîcheur mais qui peut empêcher de goûter le café correctement.

Lorsque je travaille à goûter les lots sortant du torréfacteur, j’utilise un piston.  Lorsque je verse l’eau chaude sur la mouture, il se crée un col de mousse gonflante, formé du café moulu, qui bouillonne et menace de déborder.  J’utilise une mouture plus grosse et un temps d’immersion d’environ 6 minutes, durant lequel je verse l’eau progressivement.    J’avais jamais allumé et fait le lien entre cette réaction chimique et mon client mécontent.

Cette réaction d’effervescence, appelé en anglais « blooming effect », provient du relâchement des gaz emprisonnés dans la fève de café moulu (en majorité du CO2) en contact avec l’eau chaude.  Le contact avec l’eau nous permet simplement de voir la réaction entre les huiles et le gaz qui cherchent à sortir, créant ce fameux col.

Pour l’expliquer rapidement, le processus de torréfaction produit des gaz à l’intérieur de la fève dû à plusieurs réactions chimiques dont:

C’est la Pyrolise, qui peut être décrite comme une combustion incomplète de la fève (c’est ce qu’on veut, on ne veut pas la calciner !!) qui crée des gaz.  Dans certains domaines, ce procédé est fait intentionnellement pour obtenir d’autres produits (gaz ou matière).  Dans le cas du café, ce phénomène est un dommage collatéral temporaire puisque la majorité du gaz s’échappe de la fève en environ 72h.  Mais même après 72h, même après plusieurs mois, un café en grains bien emballé, scellé, sera gorgé de CO2.  C’est d’ailleurs un indicateur de fraîcheur très important.

Donc, si je torréfie à 8h et que je livre le café à mon client à 11h30 et qu’au retour du midi il prend le sac, l’ouvre et prend une bonne bouffée des arômes du café, ce qu’il respirera sera un mélange de CO2, d’une petite quantité de CO et de très peu du parfum du café.  Pas très agréable comme odeur et comme le café idéal devrait goûter ce qu’il sent, ça ne part pas très bien.  Par la suite, le client remplit de doute, met son filtre dans sa cafetière, met le café et part la machine.  Et voilà le café qui gonfle, déborde du filtre, infuse trop vite, et goûte pas très bon.  Et là, on appelle Dany.  Et Dany vire l’équipe à l’envers en vérifiant les lots, les dates de livraison, de torréfaction, renvoie un nouveau sac, rappelle le client, etc  Je crois que vous saisissez le phénomène, lorsque je vois que la torréfaction est très près de la livraison, c’est un cas d’effervescence ( bloom effect).

Bref, ça m’amène sur la notion de fraîcheur.  Café frais, on l’a même fait écrire sur nos sacs de café.  Qu’est-ce qu’un café frais?  On a souvent tendance à mettre le café dans la même catégorie que le pain.  Un pain frais, sorti du four, d’où l’apparition de torréfacteur dans certains supermarchés.  Mais voilà, un café sorti du torréfacteur, est selon moi pas immédiatement prêt à la consommation.  On doit le laisser reposer, dégazer.  Mais pas à l’air libre.  D’où l’importance des sacs scellables dotés d’une valve.  Le café doit être isolé de l’oxygène en l’emballant le plus rapidement possible dans ce type de sac ou un contenant hermétique.  Ceci permettra aux grains de reposer sans trop se dégrader,  car en évacuant les gaz, on évacue également certains composés aromatiques.

L’idéal est une consommation à 3-4 jours après la torréfaction.  Et moudre 5 minutes avant la préparation.  Je goûte régulièrement nos cafés après une période de temps considérable.  Certains meme, après quelques mois.  Et les cafés sont délicieux,.  Ce matin j’ai bu un Kenya AA torréfié le 16 septembre 2009.  Sac scellé.  Et la semaine passée un Papouasie Nouvelle-Guinée Sigri AA, torréfié la même date, sac scellé.  Le Papou avait développé un goût de mélasse douce et fruité très agréable.   Deux excellents cafés  qui pourraient être considérés comme pas frais…

Si vous préparez un café et que l’effervescence est importante, vous avez un café frais.  C’est bon signe.  Vous pouvez pré-infuser le café 1-2 minutes en l’humectant complètement.  En plus d’améliorer votre préparation, la pré-infusion va permettre de contrôler l’effervescence en forçant l’évacuation du CO2.  Ça dépend de la méthode de préparation utilisée, je recommande évidemment les immersions complètes (Piston, Clever, Aeropress)  avec une mouture un peu plus grosse permettant de prolonger le contact eau café.   Avec un piston, bien mélanger le café avec une cuillère au début et à la fin de l’infusion.  Ceci permettra de diminuer le col qui force le piston à laisser passer des grains de café sur le dessus.   Si vous utilisez une méthode à filtre en cône ( V60 ou autre), pré-infusez et versez l’eau lentement en cercle pour dompter l’effervescence et infusez uniformément.  Et si vous avez une cafetière à filtre de bonne qualité, activez la fonction pré-infusion ou « pulse-brew ».

Finalement, l’effervescence n’est pas un phénomène négatif en soi.  On doit bien comprendre son origine et savoir comment contrer cet effet dans la préparation.  Il nous permet également de mesurer objectivement la fraîcheur du café.  Ce phénomène aide également à différencier le café de d’autres produits alimentaires recherchés pour la fraîcheur.  Un café frais n’est pas la même chose qu’un pain frais.  Ce sont deux produits différents.  Très, très, très différent…


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