L'Ascension Vertigineuse des Prix du Cacao : Un Signal d'Alarme pour l'Industrie du Chocolat


Dany Marquis

Avant de m'intéresser au domaine du cacao, je n'avais jamais eu de réflexion à propos de la provenance du cacao.  Je ne sais pas pourquoi mais je crois que c'est la même chose pour beaucoup d'entre nous.  Un peu comme la pilule bleu et rouge dans la matrix, une fois qu'on se met à s'y intéresser, c'est tout un choc sur ce qu'on va découvrir.  Et à chaque fois que Pâques se pointe le nez, et que je vois les mignons lapins, et autres petits animaux qui font le bonheur de tous, je me sens révolté.  Et comme ça fait plus de 10 ans que je suis dans le domaine, j’arrive à rester zen et à me dire que je participe à offrir une alternative à ce cirque.  Le sujet est particulièrement chaud depuis quelques temps, car nous vivons actuellement une période historique dans l’industrie du chocolat.  Une situation marquante interpelle tous les acteurs : l'augmentation spectaculaire des prix du cacao.

En tant que fondateur de Bassan Chocolat, une entreprise engagée dans la production de chocolat éthique,biologique et de qualité, je suis particulièrement attentif à ces changements.  Ceux-ci ne reflètent pas seulement une fluctuation économique, mais révèlent une transformation profonde du marché, soulignant l'urgence d'adopter des pratiques plus responsables.

Le Nouveau Paysage économique du Cacao

Récemment, le prix du cacao transigé en bourse a plus que doublé, atteignant presque 8$US le kg, surpassant les records historiques des années 1970. Cette hausse des prix, sans précédent dans l'histoire récente, met en évidence les défis auxquels l'industrie est confrontée. Avec des investissements massifs de la part de fonds spéculatifs dans le marché du cacao, la pression sur les prix s'intensifie, rendant la situation encore plus volatile.

Il faut dire que depuis la crise dans les années 70, le prix du cacao est demeuré stable, soit autour de 3$ le kg.  On peut donc dire que le prix payé aux producteurs est resté le même depuis 50 ans.  Il est donc très simple de constater que si le prix au kg n’a pas suivi l’inflation annuelle, un retard s’est creusé pour finir par être un gouffre béant qui a fragilisé le domaine. 

 

Impacts Multiples et Diversifiés 

Sur les Consommateurs et les Fabricants

Cette augmentation a un impact direct sur les fabricants de chocolat de masse, confrontés à des coûts croissants dans un contexte post-Covid déjà difficile.  Et on pourrait penser que l'appellation chocolat de masse ne s’applique qu’à quelques fabricants obscurs, mais au contraire, c’est quasiment toute l’industrie du chocolat au complet qui travaille avec du chocolat industriel.  On mentionne souvent Hershey lorsqu’on pense au chocolat de masse, et c’est vrai qu’ils sont directement dans le créneau de ce qu’on peut appeler du chocolat de masse.  Mais on oublie de pointer du doigt d’autres entreprises, moins connues du grand public, car ce sont des joueurs d'arrière-scène qui vendent le chocolat au chef.  Les chefs vont travailler le chocolat pour le représenter à leurs noms.  Un des plus grands joueurs sur la planète est Cacao Barry, qui est intégré au sein du groupe Barry Callebaut.  La grande majorité des chefs au Québec et au Canada travaillent avec Cacao Barry.

Et malgré leur aura de qualité, c’est un acteur majeur sur le marché mondial du chocolat, et on peut les catégoriser comme un fabricant de chocolat industriel et de masse. La structure de commercialisation en modèle ‘’Business to Business’’ les gardent dans l’ombre, et leur chocolat sont vendus, renommé et identifié aux noms du chef qui fabriquent les confections.  On perd alors sous le charisme du chef, la véritable provenance du chocolat, et toute la chaine de l’agriculture à la transformation.  

Cacao Barry c’est une grosse affaire.  Le groupe a déclaré un chiffre d'affaires impressionnant d’environ 9.28 milliards de dollars US pour l'exercice fiscal 2022/23, soulignant sa puissance économique. Avec 66 usines à travers le monde, Barry Callebaut dispose d'une empreinte de fabrication significative, appuyant ses opérations dans plus de 138 pays. Ce réseau étendu illustre son hégémonie dans l'industrie du chocolat, avec une présence stratégique dans les principales régions productrices de cacao et les marchés de consommation clé à l'échelle mondiale.

Les chefs n’ont donc que peu d’alternatives pour leur approvisionnement, et les structures de prix et la rentabilité des petites entreprises nécessitent de conserver des prix d’achat très bas. Les consommateurs ont un biais psychologique qu’on appelle ‘’effet d’ancrage’’ très fort quand vient le temps d’évaluer le prix d’un chocolat, ils ont une perception d’un prix spécifique pour les confections.  Et cette perception de prix par les consommateurs a quasiment suivi le même processus que le prix payé aux producteurs pour le cacao, c’est à dire, une stabilité à travers le temps.  Malgré les changements de couts dus à l'inflation ou à d’autres facteurs, les consommateurs jugent le prix des chocolats en fonctions de leur impression ou de leur expérience antérieure.

Et si le prix leur semble trop élevé par rapport à ce qu’il considère comme normal, le chocolat étant un produit de luxe, ils vont s’en priver.  Du moins pour un certain temps, le temps que tous les joueurs s’ajustent. On ne peut pas se passer de chocolat très longtemps.

Les chefs sont donc coincés dans ce tourbillon et plusieurs ont de la difficulté à mettre de l’avant autre chose que leur propre personne comme la valeur ajoutée à leur création.  C’est donc normal que tout ce qui touche l’agriculture, le terroir, la fabrication du chocolat tombe sous silence.  Toutefois, c'est une incroyable opportunité pour les chefs de se reconnecter avec le chocolat en mettant de l’avant des chocolats fabriqués par des entreprises comme Bassan Chocolat. Les consommateurs, de leur côté, doivent s'attendre à une hausse significative des prix des produits chocolatés, exacerbée par l'augmentation du cout du sucre, les salaires et l’inflation annuelle qu’on a balayée sous le tapis pendant trop longtemps.

Le chocolat, au-delà de sa transformation demande énormément de travail pour les chefs, c’est de l’art et si on veut qu’ils continuent d’exercer leur art et surtout de mettre de l’avant la qualité, car la situation pourrait encourager l'utilisation accrue de substituts du beurre de cacao, comme l'huile de palme, affectant la qualité des produits sur le marché.

 Sur les Producteurs de Cacao

Du côté des producteurs de cacao d'Afrique de l'Ouest, qui fournissent une grande partie du cacao mondial, c’est l’hécatombe.  Malheureusement, ils ne bénéficient pas proportionnellement de cette hausse des prix et bien que le prix du cacao ait doublés sur le marché, les augmentations de prix payées aux producteurs restent marginales, mettant en lumière les déséquilibres persistants dans la chaine de valeur du cacao. Car déséquilibre est faible pour décrire la situation. 

L’industrie du chocolat repose sur un vieux fond d’exploitation coloniale.  Les prix du chocolat sont conservés au plus bas pour tuer toute possibilité de compétition de nouveau fabricant et empêcher de nouveaux joueurs comme Bassan Chocolat d’offrir un chocolat à un prix qui rivalise avec leurs structures de prix. 

Depuis quelques mois, mon équipe et moi sommes dans une phase de présentation aux chefs de nos collections de chocolat, et le portrait du marché est difficile.  Plusieurs chefs travaillent avec des chocolats leur coutant entre 10-15$CAN/kg.  

Les bars laitiers sont particulièrement friands de chocolat à bas prix pour leur trempage souvent à base d’huile de palme, mais même ceux utilisant du beurre de cacao sont dans la course des bas prix perpétuels.  

Et quand j’entends les prix payés, je ne peux m’empêcher de penser aux producteurs africains qui sont payés de la même façon qu’il y a 30 ans.  C’est révoltant.

Comment voulez-vous qu’ils vivent dignement et qu’ils réussissent à continuer d’investir dans leurs infrastructures agricoles.  C’est impossible.  Et pendant que les producteurs de cacao en arrachent, les 2-3 multinationales qui fournissent le chocolat à la planète continuent d’engranger des profits pour les actionnaires.  

Les pays producteurs commencent d’ailleurs à légiférer avec des systèmes de gestion de l’offre et des règlementations pour conserver les acteurs de l’industrie à jour.

Cultiver du cacao demande tellement d’énergie et de ressources que c’est choquant de voir qu’on utilise le chocolat avec si peu d’égard.  Nous sommes à la veille de Pâques, festival du chocolat industriel anonyme et sans saveur, brun et sucré.  Qui a cultivé le chocolat? Où? Qui a torréfié le cacao?  Qui a raffiné, conché le chocolat?  Où le chocolat a-t-il été transformé avant d’arriver dans les mains du chocolatier?  La très grande majorité du chocolat qui sera consommé aura été produit dans des conditions que personne ici n’accepterait.

Cette situation est possible uniquement que si une partie de la chaîne primaire d’apprivoisement demeure  en mode économie esclavagiste.  Et je ne parle même pas d’agriculture et d’environnement.  

La crise de la hausse des prix est principalement causée par une conjoncture quasi parfaite d'évènement climatique ayant eu un impact sur les récoltes des producteurs, mais les fondations de la maison étaient très fragiles et ce n’était qu’une question de temps avec le tout s’effondre. 

On a parlé beaucoup des récoltes, du climat, mais peu ont mentionné que depuis 50 ans les producteurs n’ont pas les moyens pour investir dans leurs infrastructures agricoles, ou pour faire de l’agroforesterie.  On oublie que le cacaoyer est un arbre et que pour faire la culture du cacao, on doit avoir un écosystème riche.  Les monocultures sont très sensibles aux variations climatiques.

 

Une Opportunité pour Bassan Chocolat ?

La fabrication de chocolat artisanal, issu du Bean-to-Bar comme le fait Bassan Chocolat paie traditionnellement des prix plus élevés pour des fèves de haute qualité, est également touchée par cette augmentation. Cependant, cela renforce notre engagement à payer équitablement les producteurs, en mettant l'accent sur la qualité et la saveur. 

Nos liens directs avec les producteurs des Amériques et des Caraĩbes nous mettent à l’abri de certaines fluctuations.  Ce n’est pas parce que le Ghana et la Côte d’Ivoire ont eu des difficultés que les cacaos produits ailleurs sur la planète le sont.  

C’est vraiment la dépendance des multinationales au cacao de l’Afrique de l’Ouest qui est problématique.  

Les Amériques ont un modèle différent, structuré en coopérative très souvent, qui produisent du café, des fruits, et qui offrent un certain filet social à leur membre. 

Travailler directement avec eux nous permet donc de collaborer ensemble afin d’offrir une alternative aux

chefs.  On peut travailler le chocolat autrement. 

Nous espérons que les consommateurs reconnaitront l'importance de soutenir une industrie du chocolat qui s'efforce de résoudre les problèmes systémiques liés à la production de cacao, en choisissant des produits qui valorisent le travail des agriculteurs et l'environnement.

J’invite les consommateurs à porter attention à la provenance du chocolat et à encourager les chefs qui font preuve de transparence sur leur approvisionnement. 

 Bassan Chocolat : Un Engagement renforcé

 Chez Bassan Chocolat, nous sommes plus déterminés que jamais à promouvoir un modèle de production durable et équitable. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires producteurs pour garantir une rémunération juste et encourager des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement. Dans ce contexte de marché fluctuant, notre mission reste inchangée : produire un chocolat d'exception qui respecte à la fois les producteurs et la planète.

Un Moment critique pour l'Industrie

L'augmentation des prix du cacao représente un moment critique pour l'industrie du chocolat. Elle nous invite à réfléchir profondément sur notre consommation et les choix que nous faisons en tant que producteurs et consommateurs. Chez Bassan Chocolat, nous croyons fermement que le futur du chocolat doit être bâti sur des fondations de qualité, d'équité et de durabilité. Rejoignez-nous dans cette démarche pour faire la différence et soutenir un avenir plus prometteur pour tous les acteurs de la filière cacao.

 


1 commentaire


  • Robert Vincent

    Formidablement instructif Dany, comme toutes tes publications.
    Consommer c’est voter a dit Laure Waridel.
    Alors votons lors de nos achats de chocolat pour Paques !
    JE METS MON X SUR BASSAN CHOCOLAT !


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