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Le café est de ces produits qui ne se laissent pas facilement consommer si on veut en profiter. C’est pour cette raison que la relation entre les torréfacteurs et les consommateurs est particulière. C’est vraiment une relation particulière. Contrairement à une bière qu’on débouche et qu’on goûte immédiatement ce que le brasseur a créé, le café exige qu’on le prépare. Et cette préparation demande une technique et une connaissance du produit. Ça demeure assez simple, mais cela exige un investissement d’énergie si on veut vraiment goûter à ce que le café peut offrir.
D’ailleurs, on remarque deux tendances fortes dans l’industrie :
D’un côté, la course à la simplification, à l’instantanéité, j’irais même jusqu’à dire de à l’infantilisation des consommateurs, avec le café en conserve, en capsule, avec les machines espresso 100% automatique, les manches pressurisés, etc.
D’ailleurs le développement des technologies des machines résidentielles s’est fait autour de ce point.
Rendre l’espresso le plus simple possible.
Et si on regarde attentivement, les communications des fabricants d’équipements sont quasiment les mêmes que les régimes miracles.
Un résultat digne d’un professionnel, sans effort et tracas pour moins de 500$.
Je dois dire que cette stratégie fonctionne bien, on n’a qu’à voir la popularité des machines à capsules.
Mais je peux comprendre que l’équation effort investi vs le résultat obtenu ne soit pas intéressante pour tout le monde.
C’est un peu comme en pâtisserie, faire un gâteau à partir des œufs, de la farine, du beurre, faire une ganache pour le crémage, etc, ou une boite Duncan Hines avec 3 œufs et une demi-tasse d’huile.
Bref, vous avez compris que ce n’est pas mon camp mais je peux comprendre que le temps nous manque parfois pour faire une recette à partir de zéro.
Mais, je demeure un grand gourmand et pour moi, l’effort sera récompensé.
Mais pour mieux comprendre ces deux grandes tendances, voici un peu d’histoire.
D’où vient l’espresso ?
En fait, derrière chaque invention se cache un problème à résoudre, ou comme on le dit si bien dans l’univers de la R&D, une incertitude technologique.
Préparer un café peut être long. Si on veut raccourcir le temps de contact, rien de plus simple on n’a qu’à le moudre plus finement.
Il y a toutefois une limite et une mouture très fine ne laissera plus passer l’eau par gravité à un certain niveau de granulométrie, on doit lui donner un coup de pouce sinon l’eau stagnera au-dessus de la mouture.
Et c’est ce délai de préparation, qui a créé le besoin de préparer les cafés plus rapidement. Ce désir est arrivé en même temps que la révolution industrielle.
C’est en France qu’on dépose les premiers brevets et qu’on voit les premières innovations de cafetière « sur demande » aux alentours des années 1850.
Les grands débits de café comme ceux qu’on retrouvait dans les gares des grandes villes étaient constamment à l’affut de méthodes pour produire du café plus vite et sur demande. S’il n’y a pas de clients, pas de pot de café qui dort sur un réchaud. Et s’il y a une ligne de 30 personnes, on va les servir le plus vite possible.
Et comme nous étions à l’ère de la locomotive à vapeur et que l’utilisation de la vapeur comme solution était d’actualité, l’idée d’utiliser de l’eau poussée par la vapeur à travers une masse de café très fine fut alors mise de l’avant.
C’était à une époque où s'affirme la mode de boire du café dans les établissements publics, et où la vitesse devient la représentation principale de la modernité. Les méthodes lentes étaient considérées comme dépassées et d’une autre époque.
Les fabricants ce sont donc mis à produire des machines capables de répondre aux goûts d'une clientèle éprise de vitesse et d'instantané.
Et l’histoire du développement des cafetières espresso est jalonnée de nombreux brevets qui permettent de retracer son évolution dans le temps.
C’était donc les premières machines utilisant une technologie pour pousser l’eau à travers un lit de café moulu trop fin pour que la gravité le fasse.
En termes de chimie, on parlera d’une extraction : soit d'extraire une substance présente dans un solide pour la faire passer dans un solvant liquide.
Il y a d’autres méthodes pour faire la même chose soit la macération, l'infusion et la technique de décoction. Ce sont toutes des méthodes d'extraction solide-liquide qui peuvent permettre de préparer une tasse de café, qu’on peut expérimenter avec les méthodes filtre, plein-immersion et les nombreux accessoires de préparation.
Mais la majorité de ces méthodes demandent du temps, et ce qu’on voulait, c’était d’accélérer.
Donc, utiliser la vapeur pour accélérer l’extraction était une très ingénieuse innovation technique. Et c’était plus rapide.
Est-ce que le café était bon ?
Non.
L’eau trop chaude donnait un café très amer et au goût de brûlé, provenant probablement aussi de méthodes de torréfaction déficientes, de traitement des grains de café peu subtile. Mais on avait trouvé une façon d’accélérer le procédé.
Cette méthode vapeur fut utilisée pendant plusieurs années avec plus ou moins de modifications, car le principe était assez simple.
Une source de chaleur qui chauffe l’eau et qui monte la pression dans un réservoir, une bouilloire, avec des valves pour modifier la pression de la bouilloire, un peu comme un cuiseur de type autoclave, ou un presto, et une autre valve qui projetait l’eau à travers l’ancêtre du porte filtre qui contenait le café moulu.
Donc, on peut considèrer que la France fut à l’origine de cette innovation même si on retrouve des traces de développement similaire en Italie avec les compagnies Bezzera, Pavoni et Victoria Arduino.
Mais cette méthode faisait beaucoup de mécontents, car le café ne répondait pas aux critères de bon goût et de finesse qu’on pouvait trouver dans d’autres breuvages et dans d’autres domaines de la gastronomie.
Car comme je disais dans mon préambule, on peut s’entendre pour dire que les goûts sont dans la nature, mais il y a quand même des troncs communs au niveau du bon goût.
La vapeur était un bon moyen pour propulser l’eau à travers la masse de café,
mais la pression était limitée. Sans parler du danger d’explosion si on voulait l’augmenter.
Bref, on se déplace maintenant en Italie.
Toujours dans un optique de gagner en vitesse, Giovanni Achille Gaggia a enregistré un brevet le 5 septembre 1938, qui va révolutionner la préparation de café.
C’est pour cette raison qu’on associe souvent l’invention de l’espresso à l’Italie, car ce que M. Gaggia a fait est en fait la base de l’espresso moderne. Tandis que les inventeurs français ont plutôt fait évoluer le percolateur.
Ce que M. Gaggia a fait c’est d’utiliser un système mécanique, un ressort, pour augmenter la pression.
Un levier permettait de charger un cylindre d’eau très chaude et de compresser le ressort, pour ensuite relâcher le levier et laisser le ressort propulser l’eau à travers la masse de café.
Cette technique ne permit pas vraiment d’accélérer le service ou la sortie du café, mais permit d’utiliser une eau moins chaude, et de moudre encore plus fin le café, ce qui au bout du compte permettait l’extraction d’un bien meilleur café.
Et l’augmentation de la pression a permis l’apparition de la fameuse crème, le crema en italien, qui donna au breuvage une esthétique différente.
Un petit café, fort, intense, couronné d’une couche de crème couleur noisette, voilà ce qui a charmé.
Car si le goût du café s’en trouva amélioré, l’apparition du créma donna au breuvage une personnalité unique.
Un peu comme le col de mousse d’une bière.
Car en augmentant la pression, l’eau fut capable de dissoudre davantage de dioxyde de carbone présent dans le café après la torréfaction. Et lorsque l’eau, maintenant chargée des éléments solubles et non solubles, se retrouvait dans la tasse sans la pression, les gaz dissouts dans l’eau ne pouvaient plus y rester et remontaient à la surface pour y former une couche de petites bulles fines.
Cette couche de crème n’apparaissait pas dans les versions précédentes puisque la vapeur seule ne permettait pas de dissoudre le dioxyde de carbone.
C’est aussi pour cette raison que les cafetières de type « moka », comme celle de la compagnie Bialetti par exemple ne font pas de crema. Il y a une extraction, l’eau est poussée à travers la masse de café, mais la pression est insuffisante pour dissoudre le dioxyde de carbone.
Donc pas de crema.
Étant donné qu’il est devenu un marqueur fort de son identité, le crema a donc longtemps été considéré comme un facteur de qualité ultime pour un espresso.
En fait l’apparition de créma est simplement un indicateur de pression suffisante pour dissoudre le dioxyde de carbone.
Donc, d’une extraction correcte.
Est-ce un indicateur de bon goût?
Non, pas du tout.
Un espresso peut être courroné d’un splendide crema couleur noisette et goûter la vieille laine mouillée.
La présence de créma permet aussi de déterminer certains facteurs comme la fraîcheur du café. Un café frais, disons de moins de 1 mois après la torréfaction, aura un contenu gazeux supérieur à celui qui aurait 6 mois.
Et la couleur du créma dépendra des origines du café utilisé et surtout du niveau de torréfaction appliqué. Des cafés plus foncés feront un créma plus foncé, car les éléments non solubles, comme les très fines poussières, vont colorer la crème.
Bref, l’invention de M. Gaggia fut marquante et fut le début d’une suite d’évolutions qui nous mènent à ce que nous avons aujourd’hui.
Il y a eu ensuite, en remplacement du ressort et du cylindre, l’utilisation d’une pompe électrique, électromagnétique, qu’on utilise encore aujourd’hui dans les petites machines résidentielles. Il y a eu ici aussi de nombreux brevets de déposés, mais c’est à la compagnie Faema qu’on associe l’utilisation d’une pompe électrique pour pousser l’eau chaude à travers la masse de café.
Nous sommes alors en 1961, date également de l’invention de la fameuse Tête de groupe E61. Technologie utilisée encore aujourd’hui pour garder la tête chaude.
En fait la tête E61 consiste à utiliser l’eau de la bouilloire pour faire circuler de l’eau chaude dans la tête. C’est une technologie qui fonctionne bien et dont les variations se retrouvent même sur la majorité des machines espresso commerciales modernes.
On est alors toujours sur le même principe de propulser de l’eau chaude sur une masse de café pour en extraire les éléments solubles et non solubles.
Et nous avons alors atteint un plateau au niveau de l’accélération du processus d’extraction.
La course pour aller plus vite étant terminée, l’emphase sur le goût du breuvage a alors pris la relève.
Comment contrôler les paramètres pour obtenir le meilleur breuvage possible?
Et on s’est mis à innover du coté du contrôle.
Par exemple, le contrôle de la pression et de la température de l’eau avec l’ajout de sonde à température de type thermocouple.
Ou l’utilisation d’un pressostat et d’un échangeur thermique pour évoluer vers des machines multi-bouilloires utilisant des régulateurs PID (proportionnel, intégral, dérivé) branchés sur des microcontrôleurs.
Et pour le dosage, on passa de simple minuterie branchée sur la pompe, à des calculateurs volumétriques physiques dans les groupes, et à des systèmes de rétroaction utilisant des balances pour le respect des ratios.
Et du fameux groupe E61, on créa plusieurs variantes et les machines de haute qualité utilisent maintenant ce qu’on appelle un groupe saturé.
Les innovations qui s’ensuivent ont surtout touché le désir de contrôler et d’optimiser les paramètres de l’extraction afin d’en améliorer le goût.
L’évolution des technologies, de l’électronique, de l’informatique nous amène aujourd’hui à des machines hautement paramétrables comme ceux que j’utilise ici, la La Marzocco Strada, ou en laboratoire la Decent DE1XL.
Et suite au préambule du premier épisode, je me suis dit que de situer l’évolution de l’espresso dans le temps pouvait orienter la vision que vous avez du breuvage et comprendre aussi où vous vous situez dans votre quête.
Vous recherchez la vitesse? La simplicité?
Ou vous voulez l’expérience de dégustation ultime avec un contrôle parfait des paramètres.
Et c’est là que se situe le compromis.
Car aujourd’hui, la recherche de vitesse permet d’obtenir un espresso de meilleure qualité que ceux produits en 1910.
La rapidité et la simplicité d’une machine 100% automatique avec moulin intégré, ou même la manuelle avec un manche pressurisé, ne permettra pas une extraction optimale d’un grand cru de café. Vous devrez donc rester dans ce que j’appelle des cafés d’expérience, plus bruts, au profil très grossier.
Ce le même principe avec les systèmes de café en capsule.
Votre quête repose donc sur ce compromis et ce compromis sera influencé par le choix des équipements, et par le fait même, par le budget que vous voudrez y consacrer.
Car certains équipements, et ce malgré ce que les manufacturiers peuvent dire, ne permettront pas de faire un espresso digne d’un bar à café professionnel opéré par des baristas compétents.
Toutefois, que vous preniez la décision de me suivre dans la quête de l’excellence en ajustant parfaitement vos paramètres ou que vous conserviez vos équipements actuels dans le but d’améliorer le plus possible votre expérience, la compréhension de l’extraction du café vous aidera à mieux comprendre ce qui se passe et ce qui peut influencer votre tasse.
Et mieux orienter votre recherche d’équipements.
Rendez-vous pour le prochain épisode.
Dany
Le volume 3 de La Quête de l'espresso est sorti !
Retrouvez le ici :
Retrouvez le volume 1 ici :
Tjrs aussi pertinent, précis, concis, soucieux du bien et du bon à tirer des grains provenant des pays et continents différents. Appréciable également de prendre le soin de vous lire lentement (je le fais à haute voix) afin de saisir tte la qualité de votre propos et de notre extraction de grains. Merci! Au plaisir de lire la suite-3. J-C. Soulard
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