Café Racer


Dany Marquis

John rangea sa moto parallèle aux trois autres modèles qui étaient déjà stationnés devant l’entrée du coffeeshop.  Il prit le temps, encore assis sur l’engin, d’inspecter visuellement la mécanique dénudée de la moto.  Comme tout semblait en ordre, il tourna l’accélérateur à trois reprises comme dernière vérification.  Cette dernière était presque devenue sa marque de commerce, et tous les gens présents dans le café savaient maintenant que John venait d’arriver.  Malgré que John disait toujours vérifier son engin au départ et à l’arrivée, tout le monde savait qu’il attirait l’attention de tous avec son rituel.   Il arrêta le moteur, retira son casque et entendit les notes du derniers tubes des Stray Cats qui sortaient du Juke-Box à l’intérieur du café.  Le soleil se couchait lentement, il avait roulé toute la journée.  Il accrocha son casque au rétroviseur droit qu’il avait modifié et repositionné à l’extrémité du guidon.   Avec une légère courbe vers le bas, son guidon se terminait légèrement plus bas que le dessus du réservoir d’essence.  Cela accentuait la position du corps vers l’avant qu’il jugeait plus efficace contre le vent, il gagnait ainsi quelques km/h de plus et avait plusieurs « record-race » à son actif.  Il ouvrit son blouson de cuir, mais le garda malgré la chaleur et l’humidité de cette jeune soirée de juillet. 

-          Oh! John!

Il se retourna nonchalamment vers la voix qu’il  reconnaissait entre mille.  Il aperçut la belle Marla qui sortait du café et qui se dirigeait dans sa direction.  Son cœur fit trois tours et faillit le faire sourire à pleines dents, mais il réussit à conserver son masque sans émotion.  

-          Je t’ai entendu arriver, je savais que c’était toi!  Ça va?

Elle se pencha vers lui, toujours assis sur la moto, lui mit une main dans le dos et donna un léger baiser sur chaque joue.  Il sentit le parfum de ses cheveux, et ses seins qui s’étaient pressés brièvement contre sa poitrine.  Il se ressaisit en voyant Jimmy qui les regardait le sourire fendu d’une oreille à l’autre.  Il savait qu’il allait devoir subir les railleries des copains.   Il n’avait pas craqué, mais son cœur était maintenant hanté par le parfum de cette fille.  Ses amis le savaient.  Il n’y avait de la place dans le cœur des membres Leather boyz que pour les odeurs d’essence, d’huile et d’asphalte.  Il la repoussa doucement, en évitant son regard, mit la moto sur son pied et s’installa debout face à la moto. 

-          Elle n’est pas à mon goût.

-          Pourquoi, elle est très bien, je la trouve plus belle que ta dernière.  Je trouve seulement dommage qu’il n’y ait de la place que pour une personne, j’aimerais bien faire un tour.

Il la regarda en fronçant les sourcils. 

-          Un passager me ralentirait.  Si tu veux rouler, trouve-toi une bécane.

Elle fit la moue et lui lança :

-          Mike m’a fait faire un tour hier.  J’ai bien aimé, il allait très vite et j’ai dû me tenir très fort contre lui.  J’avais peur de tomber.

-          Mike est un conducteur de merde avec une moto de merde.

Marla avait perdu son sourire, elle regardait John, qui lui tournait maintenant le dos, accroupi devant sa moto à trifouiller les carburateurs.  Un silence lourd s’installa.  John était paralysé.  Elle avait roulé avec ce crétin de Mike.  Un buveur de tisane qui roule sur une japonaise sortie de l’usine, sans aucune personnalité.  En se relevant, il vit Jimmy qui s’avançait avec deux espresso dans les mains.  Marla savait qu’elle n’avait plus aucune chance de briser la carapace de John une fois que ces copains seraient autour. 

-          Je suis à l’intérieur si tu veux jaser.

Elle attendit la réponse qui se fit attendre et qui finalement se manifesta en un hochement de tête et un grognement.  Elle se tourna rapidement, faisant relever sa jupe rouge et offusqué elle retourna à l’intérieur pour raconter à ses amis l’indifférence de John.  De tous les gars du coin, il avait fallu que son cœur tombe sur cet égoïste qui ne pensait qu’aux motos.  Elle s’installa avec ses amies et se vida le cœur.

Jimmy tendit une tasse à John.

-          Tu brises des cœurs mon salaud. 

-          De quoi tu parles?

-          Tu ne vois pas qu’elle a le béguin pour toi?

-          J’ai d’autres choses à me préoccuper.  Mon moteur balbutie, fait un genre de bleubleubleu…. avant de prendre ses tours, la carburation du circuit intermédiaire est trop riche. Il faut que change la position du clip au 2ième  cran et refaire l'essai. Si c'est toujours trop riche, il faudra que je change l'aiguille.

-          Bon, tu le veux le café ou non?

-          Leur café est-il toujours aussi mauvais?

-          Ouais, mais le proprio est sympa.

-          Je ne veux pas boire de la piquette même si le gars est sympa.  Laisse-moi ajuster mon carbu et on s’en va à la Brûlerie du Quai.  Je paie la tournée d’espresso.  Va chercher le reste de la bande et on décolle.

-          Ok, je passe le mot.

Et pendant que Jimmy rassemblait le groupe, John ajusta le carburateur d’un quart de tour.  Il démarra sa moto et tourna la poignée à quelques reprises.  Il mit sa main à l’extrémité du tuyau d’échappement et de l’autre tourna l’accélérateur pour vérifier la réaction du moteur.  Il hocha la tête, satisfait.  Il se rassit sur sa moto, mit son casque et regarda ses camarades sortir en trombe du café.  Ils passèrent tous devant lui et lui claquèrent sa main gantée dans une forme de « high five » modifiée.  Ils démarrèrent leur moto un après l’autre pour former une pétarade symphonique qu’appréciaient toujours les initiés.  Ils reculèrent leur moto presque en synchro.  Un pied par terre, l’autre prêt à embrayer, John risqua un coup d’œil vers le café.  Marla le regardait, elle avait l’air d’avoir pleuré.  Il embraya en première, en subissant le petit soubresaut de la transmission.  Une vague émotion l’envahit, il la refoula, ne voulant pas poser de questions sur ces sentiments.  Il donna un coup d’accélérateur, et lorsque la révolution du moteur diminua, il s’appuya sur le réservoir d’essence, s’agrippa au volant et lâcha brusquement l’embrayage tout en tournant les gaz.  Il partit comme une flèche suivi de ses copains.

 

***********************************

 Café Racer

Provenant directement des 60, les Café Racer est un mouvement qui prit racine dans la contreculture britannique.  Des groupes de rockers, jeunes et rebelles, recherchaient une moto rapide, personnalisée et originale pour voyager de café en café.

Le but de la plupart d’entre eux était d'être capables d'atteindre 160km/h (on parle de 1960!) le long d'un itinéraire où le motard partirait d'un café, roulant jusqu’à un point prédéterminé et revenant en arrière au café de départ avant qu'une chanson ne puisse être jouée sur le juke-box. Ce type de course est également appelé « record-race » .   Ces motards ont été associés à la musique Rockabilly et leur image reste aujourd’hui attachée à cette même culture.

Ces motards modifiaient leur moto pour leur donner une apparence brute, déshabillée et utilitariste.  Se rendre du café A au café B était le but recherché.  On y installait une selle monoplace, un guidon bas et droit, monté directement sur la fourche afin d’obtenir une position plus aérodynamique et échapper au vent.  Les fabricants anglais comme Triumph et Norton étaient à l’honneur. 

On retrouve un mouvement similaire aux États-Unis avec la scène chopper ou bobber  qui était surtout orientée vers l’alcool et les bars.   L’alcool affectant la conduite (oui, oui, c’est prouvé!), et étant dangereux lorsqu’il est associé à tout sport mécanique ; cela explique le choix des «  Café Racer », qui préféraient s’arrêter pour boire un café plutôt qu’une boisson alcoolisée. Cet aspect oppose radicalement les « Café Racer » aux Choppers américains, l’alcool étant plutôt accepté dans la culture et l’imaginaire culturel des choppers. 

Je suis un gars de moto, buveur de café et suis nostalgique de cette époque sans l’avoir vécue.  L’idée de passer d’un café à l’autre sur une bécane à pleine vitesse couché sur le réservoir d’essence d’une vieille Honda CB-750 modifiée m’enchante au plus haut point. 

Alors si jamais vous passez par la Gaspésie avec votre Café Racer ou votre bobber, passez nous voir à Carleton.  Je vous offre l’espresso.  Et si j’y suis, et que le cœur vous en dit, on roulera ensemble jusqu’au café voisin.  Dernier arrivé paie la shot!

 

 

 


Laissez un commentaire


Veuillez noter que les commentaires doivent être approuvés avant d'être affichés