Les dessous de la tasse: Yémen


Florence Marquis

Les échanges mondiaux de café représentent entre 10 et 15 milliards de dollars selon les années. Plus de 2,25 milliards de tasses de café sont consommées dans le monde chaque jour. L'économie du café représente une part importante des revenus de plusieurs pays de chaque côté de l’équateur. C’est également le produit le plus exporté après le pétrole et  les mouvements de marchandise sont donc reliés de près aux enjeux géo-politiques des pays producteurs et on peut y voir les traces de leurs histoires teintées par les stratégies de colonisation européenne.

 

Cette chronique se veut un regard différent sur l’industrie et le contenu de nos tasses de café, avec le regard de Florence Marquis, étudiante au baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales de l’Université Laval. 

 

Les dessous de la tasse: Yémen

Yémen; la plus importante crise humanitaire au monde

La découverte du grain Yemenia, une nouvelle variété botanique du café arabica, fut considérée comme la plus importante découverte dans le monde du café depuis les années 1900. Lors de la dégustation des lots, la qualité s’est retrouvée à être exceptionnelle, certains se sont même classés parmi les meilleurs au monde. Deux de ces lots faisaient partie du calendrier de l’avent que nous vous proposions cette année. Pourtant, ce café de qualité supérieure porte le poids d’une situation politique des plus fragiles : une crise fait rage au Yémen depuis 2015. 

Mise en contexte et clivage géographique

Depuis la colonisation européenne,  le Yémen est au prise avec un clivage ethnique et religieux tout particulièrement prononcé entre le sud et le nord du pays.  En effet, lorsque le pays fut officiellement formé en 1990, il unissait d’un côté, la république arabe du Yémen, appuyée par les États-Unis et de l’autre, la république démocratique populaire du Yémen, supportée entre autres par l’Union soviétique. Ali Abdallah Saleh, qui dirigeait le Nord du Yémen depuis 1978,  prit les rênes du pouvoir lors de l’unification. Seulement quatre ans après cet évènement, un mouvement séparatiste du  sud tente de faire sécession sans succès. Ils réessayèrent en 2007, tentant toujours d’obtenir plus d’autonomie. Le clivage s'accentue en 2001. Lors des attaques terroristes aux États-Unis, ce dernier apporta son soutien au président Saleh. Pourtant un groupe du Sud, les Houthis, créa le groupe Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et se souleva contre Saleh six fois entre 2004 et 2010, clamant que son gouvernement était autocratique et corrompu. Ils lui reprochaient d'avoir supporté l’attaque des États-Unis en Irak en 2003. Sous une pression croissante, Saleh quitte le pouvoir en 2012, le laissant ainsi à son vice-président Abd Rabbu Mansour Hadi. 

Chute du gouvernement et guerre civile

Quelles sont les causes qui ont rendu cette crise aussi grave? Tout d’abord, le gouvernement Hadi cessa de subventionner l’essence, ce qui fit monter les prix alors que la baisse des prix était l’une des plus grandes demandes des Houthis (ça et avoir un nouveau gouvernement). Le président organisa une conférence de dialogue nationale afin de séparer le Yémen en différentes régions sans tenir compte des différentes doléances socio-économiques. Vers la fin de 2014 jusqu'au début de 2015, les Houthis ont profité du mécontentement général envers le président pour renforcer leur contrôle sur la capitale Sana'a. Ils sont parvenus à étendre leur contrôle territorial en s’emparant d’un certain nombre de positions dans l’armée et des forces de sécurité dans la ville. Malgré le fait que cette caste avait largement collaboré à faire tomber l’ancien président, Saleh finit par travailler côte à côte avec les Houthis afin de faire tomber son ancien vice-président. Cette alliance fut fructueuse puisque les forces armées étaient encore fidèles à Saleh. Alliance de courte durée, puisque le président fut assassiné en 2017, par les mêmes acteurs. Après la prise de Sana’a, Hadi et son gouvernement furent obligés de fuir. 

Le 25 mars 2015, une coalition formée par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis intervient à la demande de Hadi et effectue un raid aérien afin de vaincre les Houthis et permettre au président de reprendre son poste. Cette campagne fut approuvée et financée par la France, l'Angleterre et les États-Unis qui ont fourni support et armes à cette coalition. Dans le présent cas, il n’y a ni parti meilleur que l’autre, puisqu’au final, les deux sont accusés de graves violations au droit international humanitaire. C’est en partie cela qui rend la situation si difficile pour les civils. Les attaques des deux coalitions ont mené à la mort de 12 000 citoyens, mais également à la destruction de nombre d'infrastructures de santé, de routes, de maisons, d'écoles, etc. Ils ont donc contribué à exacerber la crise humanitaire qui se déroule sur ces mêmes lieux. 

Effondrement économique et crise humanitaire

Cette crise est considérée présentement comme la pire crise humanitaire au monde : il y a plus de 20 millions de Yéménites qui dépendent de l'aide humanitaire afin de survivre. L’économie étant complètement effondrée, 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et se retrouve dans l’incapacité d'acheter de quoi survivre. Également, deux familles sur trois se retrouvent complètement dépourvues de revenus, pourtant les prix des produits ne cessent d’augmenter. Par exemple, à cause de la chute du gouvernement, l’État ne peut plus payer ses fonctionnaires, c’est donc 500 000 personnes qui n’ont pas touché leur salaire depuis plus de trois ans. Également, déjà avant la guerre civile, plus de 90% de la nourriture devait être importée afin que la population soit convenablement nourrie, mais avec le contrôle aérien de la coalition arabe, ces importations sont énormément limitées. Environ 16 millions d'habitants vivent de l’insécurité alimentaire et 5 millions sont au bord de la famine. Également, à cause de la démolition de plusieurs infrastructures scolaires, 1 enfant sur 4 n'est pas scolarisé. Également, les citoyens ont rarement accès à de l'eau potable et celle-ci est souvent contaminée par le choléra. En 2017, il y a eu la plus grande pandémie de choléra jamais enregistrée, environ un million l'aurait attrapée cette année-là et plus de 3000 en seraient morts. En plus, la moitié des infrastructures de santé ne sont plus fonctionnelles et il y a eu beaucoup de coupures dans le matériel médical, il est donc rare d’obtenir un traitement lorsqu’une maladie est contractée. Un enfant yéménite meurt en moyenne chaque 10 minutes d’une maladie qui aurait pu facilement être évitée s’il avait pu obtenir des conditions de vie respectables. En effet, ce sont 7,4 millions d’enfants qui sont touchés. Il ne faudrait d’ailleurs pas oublier de mentionner la pandémie du coronavirus et comme à l’égard du reste du monde,  le Yémen ne fut pas mis de côté. Pourtant, il est difficile d'imaginer les réels impacts qu’il ait pu y avoir, puisque tel que mentionné plus tôt, les ressources pour effectuer des tests et pour hospitaliser les malades sont souvent manquantes. 

Il est difficile d’ignorer tous ces côtés sombres lorsque nous buvons notre tasse de café provenant du Yémen. Pourtant, même s’il est important d’être conscient que les conditions de vie sont loin d’être idéales, ce n’est pas ce que nous devons garder en tête. Avec cette crise économique, il est d’autant plus important de soutenir des entreprises qui se démarquent du lot et qui luttent pour survivre.  En buvant un café d’importation privée comme ceux que nous offrons, nous contribuons ensemble à améliorer les conditions de vie des employés et des agriculteurs du Yémen.  Ce n’est pas de la charité qui parfois prend la forme d’un positionnement vertueux marqueur d’un niveau social digne des privilégiés.  Mais bien d’un autre côté : de supporter un réseau d'agriculteurs qui font de la réelle qualité et qui ont un impact réel tout en conservant la dignité des producteurs.  Ce n’est pas de la charité mais une reconnaissance de leur expertise.  Et vous conviendrez comme moi, que les cafés que nous avons acquis dans les deux dernières années sont délicieux et dignes de faire partie du club des grands crus de la planète. Chaque café vendu permet à ces entreprises de survivre et d’atteindre leur plein potentiel et ce, un sac de café à la fois.

FLORENCE MARQUIS
Étudiante au baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales de l’Université Laval.

Café du Yémen disponible:  Collection Réserve Sélecte

Sources:
ROBINSON, Kali. “Yemen’s Tragedy: War, Stalemate and Suffering”, Council on Foreign Relations, 2 septembre 2021, https://www.cfr.org/backgrounder/yemen-crisis (page consultée le 23 décemre 2021)

Anonyme. “Yemen Crisis: Why is There a War?”, BBC News, 2 novmbre 2021, https://www.bbc.com/news/world-middle-east-29319423 (page consultée le 23 décembre 2021)

Anonyme. “Guerre au Yémen: pas d’issue en vue” Amnistie internationale, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2015/09/yemen-the-forgotten-war/ (page consultée le 23 décembre 2021)

Anonyme. “Yémen: 6 ans de crise humanitaire en 6 questions”, UNHCR, The UN Refugee Agency, 26 mars 2021, https://www.unhcr.org/be/52537-6-ans-crise-humanitaire-yemen-en-6-questions.html (page consultée le 23 décembre 2021)

Anonyme. “Yémen, l’ONU alerte d’une situation épouvantable, de plus en plus désastreuse et désespérée”, Nation Unies, 11 octobre 2021, https://news.un.org/fr/story/2021/10/1105962 (page consultée le 23 décembre 2021)

Anonyme. “Crise humanitaire au Yémen”, Croix-Rouge canadienne, février 2021, https://www.croixrouge.ca/nos-champs-d-action/interventions-en-cours/crise-humanitaire-au-yemen (page consultée le 23 décembre 2021)


Anonyme. “ Crise au yémen”, Oxfam International, date inconnue, https://www.oxfam.org/fr/decouvrir/urgences/crise-au-yemen (page consultée le 23 décembre 2021)

RIEDEL, Bruce. “Who are the Houdhis and why are we at war with them”, Brookings, 18 décembre 2017, https://www.brookings.edu/blog/markaz/2017/12/18/who-are-the-houthis-and-why-are-we-at-war-with-them/ (page consultée le 23 décembre 2021)

 


2 commentaires


  • Philippe Aubin

    Merci Florence, pour cette leçon d’histoire géopolitique concernant le Yémen, lieu de la production de mon café favori depuis toujours!


  • Reine Degarie

    Florence, tu nous présentes un portrait global et bien structuré de la situation au Yémen et établis un lien judicieux vers la façon de consommer leur café de choix. C’est presque un plan de thèse de maîtrise
    ! Bravo!
    Reine


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