Fiers de nos bières québécoises et des cafés américains


Dany Marquis

Parlons de torréfaction.  Il y a une popularité croissante des torréfactions légères chez nos clients et dans les discussions café.  En tant que torréfacteur, je ne peux que m’en réjouir.  Il est facile de défendre son point pour les torréfactions légères puisqu’on passe beaucoup de temps à sélectionner des grains de qualité et qu’une torréfaction poussée détruit la fève en carbonisant les caramels (réaction de Maillard extrême), ruinant le travail de sélection, sans parler du travail du producteur (c’est de la job de cultiver le café!).

Dernièrement, Starbucks a lancé son « blonde roast ».  J’ai trouvé ça drôle puisqu’ils viennent de mettre leur gros pied dans le marché des micro-torréfacteurs qui se pètent les bretelles en disant qu’ils ne font que des torréfactions légères.  Et bang!  Voilà l’éléphant qui entre dans la boutique de porcelaine.

http://www.starbucks.com/blog/introducing-starbucks-blonde-roast/1098

Au Québec, Starbucks n’a pas beaucoup d’adepte, Tim Hortons règnent en maître ici. Mais le marché café québécois se sépare en deux camps :

-          Torréfaction légère (1er crack) (buveur de filtre et préparation manuelle)

-          Torréfaction poussée (2e crack +) (proprio de cafétière espresso résidentielle)

En faisant le tour de quelques amis torréfacteurs québécois, le ratio semblent le même, environ 50% de nos ventes sont du café noir.  Et plus il est noir, plus les clients sont contents.  Le propos qui revient souvent est celui-ci : « wow! Un beau grain huileux, bien noir! »  Beaucoup de gens jugent encore de la qualité d’un café sur la couleur du grain (dont ma belle-mère, jusqu’à ce qu’elle goûte un Rwanda Bourbon AA city roast).  Il y a de l’éducation à faire afin de faire découvrir les arômes d’un bon grain légèrement torréfié.  Et je ne connais pas beaucoup de torréfacteurs qui apprécient carboniser un grain  à 450F° , qui a été sélectionné au préalable pour son terroir particulier.  D’autant plus, que torréfié à ce niveau, un café perd environ 30% de son poids.

Ce qui m’amène à clarifier un point qui m’agresse.  Ce n’est pas parce qu’on torréfie du café dépassé le 2e crack, qu’on est un mauvais torréfacteur.  Il y a un peu de snobisme à ce niveau et j’ai l’impression que tous les torréfacteurs québécois sont mis dans le même panier.  C’est peut-être dû à l’apologie des café du plateau Mont-Royal, par les journalistes du Voir, dont l’emphase est clairement mis sur l’utilisation de café torréfié au USA.  « Ils l’ont l’affaire les Amaricains! »  Et le vent d’hiver souffla sur la colonie…  Il y a de bons torréfacteurs aux USA mais je crois qu’il y en a de bons au Québec aussi.

On parle de bière québécoise utilisant du de malt québécois qui rajoute une touche de notre terroir à nos bières, de nos fromage, de notre crème glacée, etc.  Mais il y a une aura noire autour des torréfacteurs québécois.   Est-ce qu’un journaliste du Voir ferait gorge chaude d’un nouveau bar utilisant une bière brassée en Californie?  Je ne crois pas…

Les torréfacteurs québécois répondent à la demande.  50-60% nous demande du café torréfié bien noir, on répond aux commandes.  Juger de la qualité d’un torréfacteur par ses ventes les plus populaires est un dur jugement.  Faut bien payer les comptes ;-) on n’est pas pour rabrouer et culpabiliser ceux qui aiment le café bien corsé.

Je crois qu’aux USA, les torréfacteurs se sont positionnés dans la niche du café spécialisé, de dégustation, niche laissée  vide par Starbucks.  Ils ont donc construit leur entreprise sur ce créneau.  Au Québec, les torréfacteurs construisent leur entreprise sur ce que leur client leur demandent, du café noir.  Ce sont avant tout, des entreprises, des entrepreneurs qui suivent le marché, et je crois que c’est ce qui fait la différence.

Depuis peut-être deux ans, le marché du Québec évolue.  Des USA, au Canada anglais, vers le Québec, voilà que les propriétaires de cafés, de restaurants et d’hôtels découvrent le travail du torréfacteur.  Chez nous, c’est Van Houtte qui domine avec la fidélisation par la contrainte ( je te prête une cafetière et tu m’achètes du café ).  Et voilà, que le restaurateur se rend compte qu’il peut choisir son café et qu’une bonne cafetière filtre coûte environ 800$.  Pourquoi se priver de travailler avec un bon torréfacteur de café?  Et voilà que le Québec se tourne  vers leurs torréfacteurs, mais la majorité sont encore des émules de Van Houtte ou qui considèrent encore que la torréfaction se divise en trois (brun, mi-noir, corsé), rien de bien attirant si on les compare à certains leaders américains.  Du coté de Brûlerie du Quai, on pousse fort pour démontrer qu’on peut être au Québec, parler français et connaître le café (on parle aussi anglais au besoin).  On connaît d’ailleurs une croissance de partenariat avec des cafés et des restaurants.  Nos clients viennent à l’atelier, au labo, participent à la torréfaction, à la dégustation, au contrat d’achat de café vert, c’est génial!

Pour moi, un bon torréfacteur, est celui qui sélectionne de bons cafés verts, qui les torréfient pour exploiter au maximum le terroir du grain ou selon le besoin du client, et qui maîtrise le processus de torréfaction afin d’être constant d’une torréfaction à une autre.  La constance est alors le mariage entre la technologie de la machine et les sens de l’opérateur.

En conclusion, si vous cherchez un partenaire pour vous approvisionner en café, discutez  avec un torréfacteur québécois, achetez vos équipements et vérifiez s’il peut combler vos besoins.  Il est temps qu’on ait une petite gêne lorsque qu’un nouveau café ouvre ses portes et que les émules d’Elvis Gratton se pètent les bretelles parce qu’ils utilisent un café torréfié à des milliers de km du café, payé le double du prix pour un café équivalent torréfié à coté.  Et moi qui travaille sur mes crédits de carbone…   Autant les Québécois ont poussé sur le café équitable, autant la présence médiatique va vers les torréfacteurs autres que québécois.  On ne verrait jamais ce type de glorification dans l’industrie des micros-brasseurs.  Les dépanneurs et épiceries de quartier sont fiers d’avoir les bières du coin mais ont des cafés industriels sur leur tablette (Sauf les meilleurs évidemment).  Heureusement, les choses changent, lentement, suffit juste de souffler un peu sur les braises…


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