Porte-filtre simple, double ou sans fond ? Lorsque les ratios d'extraction font la différence.


Dany Marquis

Porte-Filtre
 
Je m’aventure aujourd’hui sur un sujet d’importance capitale pour tous les opérateurs de coffeeshop.  L’utilisation et le choix du porte-filtre aura un impact majeur sur la préparation des breuvages et la constance de ceux-ci.  À force de coacher des équipes de barista au démarrage de coffeeshop, je me suis rendu compte qu’il était important de diminuer au maximum les variables lors de la préparation des breuvages et que les pires fiascos post-formations provenaient de la mauvaise utilisation des différents portes filtres.  C’est également un sujet difficile à aborder en tant que formateur, car je perds habituellement tous mes apprentis baristas après quelques minutes d’explication.  J’essaierai donc de vous clarifier du mieux possible ce qu’il adviendra de vos opérations en utilisant un type de porte-filtre ou l’autre.
 
Un peu de théorie sur l’espresso :
Pour garder ça simple, on va considérer le ratio suivant :
(Poids du café à l’intérieur du panier / Poids du liquide à l’extraction dans la tasse) * 100  = X %
Exemple : 18g / 30g = 0,6 * 100 = 60%
Ce ratio est un indicateur simple qui permet de mesurer la force de votre extraction. 
Un espresso avec un ratio de 30% sera très faible, tandis qu’à 75% ce sera très fort.
Pour ce faire, utilisez une balance et tarez le porte-filtre, ce qui mettra votre balance à zéro.  Ajoutez votre café moulu dans le porte filtre et effectuez votre routine habituelle.  Avant d’insérer votre porte-filtre sur votre machine espresso, mettez-le sur la balance et notez le poids du café.
Le poids du café moulu devrait être entre 7g et 22g.
Insérez votre porte-filtre fermement sur la machine.
Prenez une tasse, un shooter, un bécher ou peu importe le récipient, utilisez la balance et tarez-la pour la mettre à zéro.
Installez la tasse sous le porte-filtre et actionnez la pompe. 
Pour rester autour de notre sujet et ne pas divaguer, on prend pour acquis que votre extraction est parfaite.
Remplissez alors votre tasse selon vos désirs et pesez la tasse et son contenu.  Comme la balance était à zéro, vous aurez alors le poids du liquide extrait du café moulu.
Le poids du liquide peut varier entre 20g et 100g. (1g = 1ml)
Lorsqu’on détermine les standards de breuvage d’un établissement, on veut que ces standards soient reproduits par tous les membres de l’équipe.
Pour commencer, on définit alors l’espresso type, à 30ml extrait en 30 secondes avec un panier de 18g.  On goûte, et si tout le monde est heureux, on construit autour de l’espresso.
1ml = 1g, cet espresso aura un ratio de 18g / 30g = 60%  -> en 30 secondes
Habituellement, tout le monde me suit jusque-là.
Et comme on aimerait que les clients puissent commander un ristretto, un allongé ou un américano, on définit les standards de ces variantes de l’espresso.
Allongé = 18g / 50ml = 36% -> 45 secondes
Ristretto = 18g / 20g = 90% -> en 20 secondes
Oui mais Dany, 90% pour le ristretto, c’est beaucoup trop, et en plus c’est trop intense comme force, on dirait du sirop.  Est-ce que je ne pourrais pas utiliser le panier de 14g et approcher mon ratio à celui d’un espresso?
C’est une possibilité.  Toutefois, en utilisant un panier de 14g, ou même en gardant ton panier de 18g avec moins de café (en pesant la dose à 14g dans ton panier pouvant en contenir 18g) tu changerais ainsi l’épaisseur de ta galette de café.  Ce qui offrira une résistance plus faible à l’eau, provoquant une extraction trop rapide, donc une sous-extraction ce qui donnera un breuvage imbuvable.  Il faudrait alors soit ajuster la mouture ou bien utiliser un autre moulin.  De cette façon, la mouture serait adaptée à l’épaisseur de la masse de café, offrant ainsi une résistance optimale.  De ce côté, si je suis barista et que quelqu’un dérègle mon moulin principal pendant que je travaille pour faire un ristretto, je lui casse les jambes.  Personne ne touche à mon moulin quand je travaille et que je suis barista #1.  Reste alors la possibilité d’acheter un moulin dédié  au ristretto, ce qui est rarissime selon mon expérience.  D’autant plus que sur une période annuelle, le nombre de ristretto est assez limité.
C’est là que je commence habituellement à perdre mon monde J
Car voyez-vous, le premier point à considérer, c’est que pour chaque masse de café utilisé, on doit avoir une mouture appropriée. 
Pour un barista de cuisine, il y a matière à s’amuser.  Surtout avec un moulin comme le Baratza Vario qui possède des mémoires pour les ajustements de la mouture.
Mais pour un pro, derrière le bar, face à une ligne de 10 clients  tapochant leur téléphone, on n’a pas le temps de farfouiller la mouture.   On se définit un dosage standard et on y reste.
Pour l’instant, gardons le 18g.
Je répète donc le principe :
Pour chaque masse de café moulu, une mouture doit être adaptée afin d’avoir une bonne extraction.
À partir de ce constat, on vient d’éliminer une variable, soit la sélection du panier.  On a simplifié d’un niveau.
Par la suite, on cache les paniers des autres formats dans un tiroir, cadenassé.   Et on discute sur l’orientation à prendre pour les breuvages.
Est-ce que nous utiliserons les porte-filtres doubles ou simples sans fond? 
Tout d’abord, les porte-filtres avec un bec unique sont complètement inutile.  De plus, si vous avez un porte-filtre qui doit reposer sur la pointe du bec pour tasser, je vous conseille de l’utiliser pour faire vos backwash, car il est très difficile d’être constant.  Le porte-filtre reposant sur la pointe est trop instable pour tasser de façon droite et uniforme.  Si vous avez un porte-filtre comme ceux de La Marzocco avec un appui comptoir, vous pouvez utiliser le bec simple sans problème.  Mais pourquoi utiliser un bec simple si vous pouvez utiliser un porte-filtre sans fond.  Un porte-filtre sans fond est beaucoup plus sexy et permet d’observer son extraction directement du dessous du panier. 
Vous pouvez effectuer une recherche sur google avec "naked portafilter", je vous conseille de l'écrire en anglais car si vous recherchez porte-filtre tout nu, j'ai l'impression que vous aboutirai dans des endroits où il n'y a pas beaucoup de café.  Ni de vêtements...
Voir ces vidéos: 
 
Donc, de cette façon vous avez une sortie unique permettant la fabrication d’un seul espresso à la fois.
Tandis que le porte-filtre muni d’un bec double permet de sortir deux espressos à la fois.
 
Et là, il y a toujours un esprit vif qui me dit : « facile, si t’as un seul café à faire, tu prends le sans fond, si t’as deux cafés, tu prends le double! »
Ah!  Ahhhhhhhhhh!  Et voilà!
Laissez-moi vous raconter une petite histoire.  Vous venez d’ouvrir votre café, tout le monde est heureux, le soleil brille, c’est merveilleux.  Un client entre pour la première fois, vous félicite sur le choix du torréfacteur  qu’il connait de réputation et vous demande un cappuccino.  Le barista, se tourne vers sa machine avec une prestance que j’imagine proche du Capitaine Bernier à son premier voyage en Arctique, et prend le porte-filtre simple sans fond.  Il y met 18g de café, et fait son espresso de 30ml.  Il regarde son café, satisfait, et y rajoute le lait qu’il a texturé comme un professionnel.  Il sert le cappuccino au client.  Celui-ci est impressionné, lui donne un pourboire généreux, et il part avec sa tasse s’asseoir près du bar.  Le barista voit le client prendre son café en photo pour probablement  le publier sur Instagram avec filtre sursaturé.  Le barista est stressé, car il sait que cette image peut lui coller l’étiquette de café 3e vague, ou le mettre au niveau des pires bouis-bouis en ville.  Le client déguste son café et sourit béatement.  Quand le barista passe ramasser la tasse qu’il voit complètement vide, il se dit : « Mission accomplie! »
À ce moment, l’espresso aura un ratio d’extraction de 60% (18g / 30g) ce qui avec le lait bien réussi, dans une tasse de 150ml, lui donnera un arôme café bien prononcé.
Les réseaux sociaux s’enflamment et tout le monde accourt à ce nouveau café.  Notre même client, quelques heures plus tard, décide d’y revenir, accompagné d’un ami.  Il commande au capitaine barista deux capuccinos.  Les synapses du cerveau du barista réveillent la case mémoire dans laquelle est enregistrée l’information suivante :
Deux capuccinos = porte-filtre avec le bec double
Et le voilà, voulant gagner du temps pour servir ses clients plus rapidement, qui prépare le tout, et y installe les deux tasses simultanément sous le porte-filtre.  Il termine sa routine en poussant deux magnifiques cappuccinos devant les clients avides d’y goûter.
Une fois que les clients sont bien installés, le barista active son oreilles bionique et surprend cette conversation :
-          Wow! Ça c’est du café!
-          Oui, il est bien, mais il n’est pas comme tout à l’heure.
-          Hummm, j’espère qu’ils n’auront pas des problèmes de constance.  Tu me laisses goûter au tien?
-          Oui, vas-y.
-          Ils sont similaires, mais c’est tout de même très bon,  T’as sûrement halluciné.
-          Oui, peut-être.  Parlant d’hallucination, penses-tu que Philippe Couillard…
Permettez-moi d’arrêter la conversation de nos deux clients, pour revenir à notre barista dépité et confus.  Malgré le fait qu’il ait respecté les étapes du cappuccino parfait, voici ce qui a fait la différence :
Pour sortir ses deux espressos, le barista a dû laisser couler 2 x 30 ml donc 60ml de breuvage.  En plus d’avoir pris plus de temps, son ratio est donc  passé à  30%  (18g / 60g).  L’espresso utilisé avait donc moins de force que lors de la première visite.  
Il y a également d’autres variables possibles, comme par exemple les types de tasses.  Lors de la définition d’un menu, les tasses sont essentielles pour être constant.  Est-ce que tout le monde utilise les mêmes tasses avec les mêmes breuvages?
« Oui, mais quand je suis venu hier, le barista m’a fait un latté dans cette tasse-là! »
Imaginez un établissement utilisant des tasses disparates, des porte-filtres simples et doubles aléatoirement  et dans lequel tout le monde touche au moulin…
Il est donc important de déterminer dès le départ le type de porte-filtre utilisé.
Je dirais que chaque méthode a ses forces et faiblesses et que c’est ici une question de préférence.  Évidemment, certains gourous diront que seule l’utilisation des porte-filtres simples sans fond vous mènera au Valhalla, et que les utilisateurs de porte-filtres doubles font old school… 
Les pf (À partir de maintenant je remplace porte-filtre par pf) sans fond sont agréables à travailler et sont très tape-à-l’œil et sexy.  Voir le créma descendre strié de deux ou trois teintes passant du caramel à la noisette est très stimulant.  Cette méthode permet également un ratio plus élevé, donnant une tasse plus nette, tranchante et acidulée, caractéristique chère à la 3e vague.  Là où cette méthode perd des plumes, c’est au niveau de l’efficacité et de la vitesse d’exécution.  Un espresso à la fois par groupe disponible sur la machine.  Avec une machine à deux groupes, on ne peut donc pas faire plus de deux espressos à la fois.  Un bon barista peut sortir un cappucino en 2 minutes (voir exemple sur un pf double) 
 
Il devient donc difficile de gérer de l’achalandage même aussi minime soit-il, car on ralentit le service.  Ce que personnellement je trouve très irritant.  En 2014, l’idée de la 3e vague a fait son chemin et la qualité moyenne des établissements a augmenté de beaucoup.  Lorsque faire du bon café deviendra une norme, la nécessité d’un service hors-pair ressortira.  Et pour moi, la rapidité du service en fait partie. 
Pour ce qui est des pf doubles, on se retrouve alors avec une rapidité d’exécution doublée, ainsi qu’une diminution des gestes et manipulations nécessaires à la préparation. 
Pour avoir opéré avec les deux types de pf, le double est vraiment plus efficace.  J’ai eu à gérer l’équivalent de la ruée vers l’or du Klondike devant mon bar et sortir 4 cafés à la fois sur une 2 groupes, un après l’autre,  pendant des heures.  Et je peux vous dire que les pf sans fond sont restés sous le comptoir!
Oui, mais est-ce que le café est de moindre qualité avec un pf double?  Moi aussi je veux aller au Vallahala!
Eh bien, je répondrais simplement: "Oui".  Là-dessus, on peut considérer qu’on aura un ratio plus petit.  On pourra toujours augmenter le panier pour obtenir un ratio plus élevé.  Par exemple, j’utilise à Carleton des paniers VST de 22g.  Pour deux espresso de 25ml, on se retrouve avec un ratio de 44% et d’environ 27% pour un allongé.  Ce qui donne une qualité de breuvage excellente située à mi-chemin entre la tradition italienne et la 3e vague américaine. 
Pour nous situer, la tradition italienne était d’utiliser une dose de 7g pour une espresso de 30ml.  On se retrouve donc avec un ratio 23% ou de 25% si on utilise 14g pour un allongé.  La norme italienne est donc de 25%.
Également un plus bas ratio favorisera une tasse plus douce et moelleuse, moins agressive et plus sucrée. 
Le pf double apporte un désavantage lorsqu’on a seulement un espresso à servir.  L’utilisation des deux doses dans un cappuccino par exemple, reviendrait à utiliser l’équivalent d’un double ristretto.  Toujours dans l’optique d’avoir des breuvages uniformes, on doit alors utiliser un seul des deux becs du pf et laisser l’autre côté couler dans le plateau-drain de votre machine.  On pourrait voir cela comme un sacrilège, mais croyez-moi, la constance et la qualité de vos breuvages vous profiteront beaucoup plus que d’économiser l’autre dose.  D’autant plus que la valeur de cette dose est d’environ 0,10$.
Comment éviter cette perte?  En utilisant un porte-filtre simple doté d’un panier comprenant moins de café, qui donnera le même ratio qu’en utilisant les pf doubles.
Pf double avec panier de 22g / 50ml  = 44%
PF simple avec panier de 14g / 30ml = 46%
Mais attention, vous aurez besoin d’ajuster la mouture pour la dose de 14g ou d’avoir un moulin dédié pour les doses simples avec pf simple sans fond. 
Vous voyez, ça peut devenir assez complexe à gérer pour une équipe de barista débutant.  L’utilisation des pf doubles est donc plus simple et évite de trop manipuler son environnement.
Après avoir fait le tour du concept de base de ratio d’extraction, on tombe alors dans ce que j’appelle la ligne éditoriale du chef-barista.  Qu’est-ce qu’on veut comme profil de tasse?  À vous de choisir, d’expérimenter.   Par la suite, on se doit de définir ses breuvages, ses méthodes, les tasses appropriées, et à définir ça sur papier pour que tout le monde les suive à la lettre.  Ne restera qu’à faire la police de l’espresso et à distribuer des coups de martinet à tout vent à la vue d’une mauvaise extraction.  Attention de pas frapper un client dans votre emportement de colère… concentrez-vous sur les baristas.
Personnellement, je suis un adepte des pf doubles.  Pour l’efficacité et pour la proximité de la tradition italienne.  Je trouve également que c’est plus facile de standardiser les breuvages apparaissant sur un menu et de les enseigner à des groupes de baristas au démarrage d’un nouveau coffeeshop.
Après avoir fait le tour de la question, êtes-vous porte-filtre simple,  double ou une combinaison des deux? 
Voici un top 5 de nos cafés qui se font délicieusement bien en espresso :
Vous pouvez également parcourir les textes suivant publiés sur notre blog :
-
N.B :  Pour ne pas rendre le sujet encore plus lourd, je suis resté sur les ratios d’extraction.  Je n’ai pas abordé les notions de rendement, de taux de dissolution (TDS), de température d’extraction, de niveau de torréfaction, du niveau de mouture, etc.  Ça fait beaucoup de matière pour les prochains blogs! 
N.B.2 :  Si vous vous retrouvez dans la situation et vous devez choisir vos standards pour votre établissement et que ce texte vous ait donné mal à la tête, vous pouvez nous contacter pour de la formation ou pour du coaching. 

4 commentaires


  • Sofiane

    Bonjour, votre post est excellent, on sent l’expérience et j’ai vraiment beaucoup appris, merci de faire profiter les autres de votre expérience et votre expertise, vous parliez à un certain moment du prix et avait dit 0.10$ (dollars), vous êtes établi où ?Merci


  • Rolly

    Merci de me faire profiter de l’excellence de votre enseignement. Tout va sauf que je ne saurai utiliser la méthode de peser le café à même le portafilter. Mon bottomless portafilter pèse 400g à lui seul. Le fait de peser le café (18 g) directement dans le porte-filtre manque de précision. Je préfère utiliser un très léger petit contenant taré avec une balance de 100g à deux décimales.


  • walid kehal

    Une solution pour être efficace et constant peut être : c’est d’avoir une machine 4 groupes et d’utiliser à ce moment là ; des pf doubles sans fond pour faire des shots simples.
    Là se pose le problème du prix de la machine et donc sa rentabilité. Chez nous en Algérie se pose un autre problème liée à cette solution : et il est d’ordre juridique, à savoir que l’utilisation d’une 4 groupe impose la dénomination : cafeteria et non pas salon de thé ( coffeshop ) et cette dénomination impose au propriétaire de l’établissement le menu et par conséquent les breuvages à distribuer dan son établissement.


  • nicbarista

    Super bien écrit!
    Pourquoi appelé ça un PF “simple” sans fond?? Sans fond y’a plus de de simple ou double c le panier qui te donne la qté/poids à extraire. Enfin c comme ça que je le voit et l’enseigne.

    Ça serait ben cool qu’on se prenne un café ensemble un de ces 4 non? ;-)

    Nic


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