Les échanges mondiaux de café représentent entre 10 et 15 milliards de dollars selon les années. Plus de 2,25 milliards de tasses de café sont consommées dans le monde chaque jour. L'économie du café représente une part importante des revenus de plusieurs pays de chaque côté de l’équateur. C’est également le produit le plus exporté après le pétrole et les mouvements de marchandise sont donc reliés de près aux enjeux géo-politiques des pays producteurs et on peut y voir les traces de leurs histoires teintées par les stratégies de colonisation européenne.
Cette chronique se veut un regard différent sur l’industrie et le contenu de nos tasses de café, avec le regard de Florence Marquis, étudiante au baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales de l’Université Laval.
Une guerre à huis clos
Voilà plus d’un an qu’il se passe en Éthiopie une guerre civile, entre une région du nord du pays, le Tigré et le gouvernement fédéral. Ce conflit qui pourrait être dommageable pour l’Afrique met en scène alliances militaires et crises humanitaires. Ce sont ces conditions qui rendent fastidieux le commerce direct avec les fermiers de ce pays. La situation est loin d’être parfaite, il est difficile d’exporter des produits du pays et les compagnies d’exportation ne laissent qu’un faible pourcentage des revenus aux fermiers. Et encore sont chanceux ceux dont les récoltes n’ont pas été complètement détruites. Le texte d’aujourd’hui permet de mettre en lumière le contexte dans lequel s’est développée cette situation houleuse, les acteurs principaux en jeu ainsi que les impacts sur la population, principalement dans la région du Tigré, située à l’épicentre du conflit.
TPLF et Abiy Ahmed
Tout d’abord, avant 1991, il y avait au pouvoir en Éthiopie, un régime militaire, ce qui ne plaisait guère au Front de libération du peuple Tigré (TPLF) qui a mené pendant quinze ans des guérillas contre ce régime. Durant cette même période, il instaura une série de pratiques politiques et d’institutions de gouvernance locale qui ont permis de structurer la société tigréenne, les rendant ainsi particulièrement populaires au sein de leur région. Le Tigré, qui compte 7 millions d’habitants, n’est qu’une infime fraction de la population éthiopienne (6 %). Pourtant, c’est cette région qui réussit à prendre le pouvoir en 1991 et qui l’a également maintenue jusqu’en 2019 avec la coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF). Ce régime amène également son lot de conflits, principalement avec un pays voisin, l’Érythrée, avec lequel la question de frontière est tumultueuse, les deux réclamant des monceaux de la région du Tigré. Ces dissensions ont perduré jusqu’au 21e siècle, ou plutôt jusqu’à la prise de pouvoir du premier ministre actuel, Abiy Ahmed. À la fin de leur règne, le TPLF est accusé de s’être approprié les richesses pendant tout leur mandat et ne se fait pas réélire. À la place, c’est un représentant du peuple Oromo qui prend le pouvoir (l’ethnie la plus populeuse, composant aujourd’hui 34,5 % de la population). Le nouveau premier ministre arrive alors rempli de bonne volonté, voulant amener un vent de renouveau avec ses nombreuses réformes. Il procède d’abord à un remaniement de l’exécutif, réduisant son équipe, désormais composée d’autant de femmes que d’hommes. Il fusionne également les coalitions et forme le parti de la prospérité (EPP). Cette nouvelle coalition qui exclut le TPLF a été énormément critiquée par ces derniers qui refusaient de reconnaître le nouveau parti au pouvoir. En effet, le premier ministre les considère comme des obstacles à ses réformes et entreprend, dès le début de son mandat, de les marginaliser. Également, il prend la décision de reporter les élections législatives en 2020, à cause de restrictions reliées à la COVID-19. Malgré l’interdiction de la commission électorale, le Tigré décide de conserver tout de même les élections dans sa province en signe de protestation. Un autre atout qu’Ahmed ajoute à sa manche est la réconciliation historique avec l’Érythrée qui lui a valu un prix Nobel de la paix en 2019 et qui a été un fort avantage en sa faveur lors de la guerre civile qui est déclenchée peu après.
Guerre civile et crimes contre l’humanité
Ensuite, le 4 novembre 2020, Abiy Ahmed lance les troupes contre le Tigré, les accusant d’avoir attaqué des bases de l’armée fédérale. Le but était simple: renverser le pouvoir provincial que le premier ministre qualifie de criminel, de terroristes, ainsi qu’à reprendre le contrôle de la province. Les attaques commencent au moment où la population engrange les récoltes faites. Plusieurs fermes sont donc pillées, les civils obligés de fuir. Le gouvernement fédéral prend, en décembre 2020, le contrôle sur Mekele, capitale du Tigré, instaure un gouvernement provisoire et déclare sa victoire sur les Tigréens. Cette victoire n’est pourtant que de courte durée. En juin 2021, le rapport de force s’inverse. Le TPLF reprend le contrôle de sa capitale, s’associe avec une organisation rebelle ethnorégionale, l’Armée de libération Oromo (OLA) et commence à avancer dans les territoires voisins Amharas et Afars en direction de la capitale Addis-Abeba. Voyant cela, le premier ministre déclare l’État d’urgence, une mesure qui lui permet d’enrôler n’importe quel citoyen en âge de se battre et qui possède une arme, ce qui ramène un regain dans les combats. Massacres, attaques à l’aveugle, violences sexuelles et tortures produites par chaque parti sont dénoncés par la commission éthiopienne des droits de l’homme. D’autres crimes sont également commis par d’autres troupes. Des troupes érythréennes envahissent des villes telles qu’Aksum et ouvrent le feu en pleine rue, tuant ainsi des citoyens innocents. De plus, ils volent biens de luxe, véhicules, médicaments, nourriture, etc. On estime les pertes à plusieurs centaines de morts, mais plusieurs considèrent que ce chiffre est sous-estimé considérant tout ce que les Érythréens ont fait. Les relations entre les deux peuples sont restées tumultueuses depuis le passage au pouvoir du TPLF. Certains soldats l’ont sur le cœur en envahissant Aksum :
« Vous avez maltraité les Érythréens pendant 20 ans, maintenant pendant 50 ans vous allez mourir de faim, puis nous allons tuer vos hommes et violer vos femmes. Nous avons été envoyés pour nettoyer les Tigréens, ils seront remplacés par de vrais Éthiopiens ; nous nettoyons ce pays de gens comme vous ».
Le gouvernement a également un large rôle à jouer dans ce conflit, de nombreuses frappes aériennes ont été effectuées par l’armée, visant des installations du TPLF, mais la plupart du temps faisant comme victimes des civils innocents, des femmes, des enfants. Cependant, la plus grande arme utilisée par le fédéral a été la famine. Finalement, le 5 novembre 2021, la coalition comptant l’OLA et le groupe du Tigré augmente afin d’inclure sept autres organisations moins connues issues de diverses régions et ethnies, ayant comme but commun de faire tomber le premier ministre. Plusieurs pays craignent déjà l’effet que pourrait avoir ce conflit à long terme sur le reste du continent. En effet, déjà plusieurs pays sont impliqués et les analystes craignent que plus le conflit perdure dans le temps, plus de pays seront impliqués. Ce risque de dégénération prévu par diverses organisations les incite à leur quémander des pourparlers ainsi qu’un cessez-le-feu, ce à quoi les deux partis restent sourds.
Famine et droits de la personne
Il est aussi vrai que bien peu de considération de la part du gouvernement semble avoir été portée sur la santé et le bien-être du peuple tigréen. En effet, plusieurs citoyens ont dû fuir leur ferme alors que l’agriculture était de subsistance là-bas et que c’était l’un de leurs seuls moyens de survie. L’eau potable, déjà rare, ne le fut que davantage après cela. Les génératrices et les courts circuits qui faisaient fonctionner les pompes à eau et les systèmes d’égout avaient été détruits ou volés. L’eau à laquelle les citoyens avaient désormais accès était souillée et source de maladies. 2.7 millions d’enfants ne peuvent plus aller à l’école et sont exposés aux violences sexuelles. Le Tigré a dû essuyer plusieurs bombardements à l’aveugle ainsi que d’autres visant des usines, des écoles ou encore des hôpitaux. Un quart des installations scolaires ont été détruites, ce qui fait qu’à la suite du conflit, moins d’enfants auront accès à l’éducation. Plusieurs personnes ont dû fuir leur logis en direction du Soudan, certains devant même marcher des jours, voire des semaines afin d’atteindre les camps de réfugiés. Ces mêmes camps se retrouvent la plupart du temps surpeuplés, fort peu hygiéniques et la sécurité n’y est généralement pas assurée. Très souvent, il n’y existe ni douches, ni toilettes, ni point d’approvisionnement en eau potable. Dans ces conditions, le risque de propagation de maladies y est très élevé ainsi que celui d’exploitation des enfants. Le gouvernement a également isolé le Tigré en bloquant les routes, les communications, l’Internet ou en fermant les banques et empêchant les vols en direction du Tigré. Comme mentionné plus tôt, la pire arme qu’utilise le gouvernement fédéral est la famine. Des routes étaient bloquées, des ponts détruits, des vols annulés, personne ne pouvait se rendre dans la province, alors que 70 % de la population avait pourtant besoin d’aide alimentaire et 400 000 habitants étaient sur le bord de la famine. Dans ces conditions, aucune aide humanitaire ne pouvait transiter vers les lieux chauds où les besoins étaient criants. Plusieurs cargaisons de camions de sécurité ne pouvaient se rendre à destination à cause de l’état des routes. Aussi, un black-out s’exerce, il n’y a plus d’accès à l’Internet, il est donc difficile d’avoir de l’information de l’intérieur de la province. Également, malgré le conflit entre le gouvernement et le Tigré, les autres provinces ne sont pas à l’abri des dommages collatéraux.
Finalement, ce conflit est non seulement dangereux pour les Éthiopiens, mais également pour l’Afrique au complet, s’il n’est pas réglé suffisamment rapidement. Pourtant avec l’entêtement des deux partis à ne pas accepter ni d’ingérence des pays d’Occident ni de cessez-le-feu, nous sommes loin d’avoir fini d’entendre parler de ce conflit. C’est cela qui est dommage pour nous, puisque se trouvent sur le territoire d’Éthiopie de magnifiques lots de café, tels que ceux produits par Kebede Godo Loni, un producteur vivant à Gedeo Woredo dans la province du Yirgacheffe, au sud du pays. Malgré leur éloignement avec le Tigré, l’exportation de leur produit n’est pas chose facile à cause d’une chute du transport aérien en direction de l’Éthiopie. La principale compagnie aérienne a suspendu 90 % de ses vols internationaux durant la crise sanitaire. Également, si les producteurs faisaient affaire avec une compagnie d’exportation, leur marge de profit sur les produits vendus ne serait que réduite. C’est toujours dommage de voir comment les conflits dans un pays peuvent à ce point influencer l’économie et faire que les entreprises n’atteignent plus leur plein potentiel.
Florence Marquis
Étudiante au baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales.
Nos cafés de l’Éthiopie :
Le Yirgacheffe
Le Harrar
SOURCES
MOKADDEM, SARA. « Éthiopie : l’inquiétant impact économique et social du conflit au Tigré » ID4D, Le média du développement durable, 4 octobre 2021, https://ideas4development.org/ethiopie-conflit-tigre/ (page consultée le 27 décembre 2021)
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KANNAMPILLY, Ammu. “Éthipie : les rebelles affirment s’être repliés au Tigré”, Le droit, https://www.ledroit.com/2021/12/20/ethiopie-les-rebelles-affirment-setre-replies-au-tigre-be71a3d6f1ba167aa5b6e8b1c6abb86e (page consultée le 27 décembre 2021)
GASSIER, Marine. “Comprendre la violence du conflit éthiopien”, Le point Afrique, 22 novembre 2021, https://www.lepoint.fr/afrique/comprendre-la-violence-du-conflit-ethiopien-22-11-2021-2453211_3826.php (page consultée le 27 décembre 2021)
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